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les bouteilles seront plus grandes, quand le vin sera moins cher, alors peut-être sur la terre nous retrouverons l’âge d’or. » C’est ainsi que l’auteur débute, et ce refrain bachique est recommencé chaque fois. Une même épigraphe y reparaît sans cesse pour protéger la verve du poète ; elle est empruntée à ce vieux livre du moyen-âge, à cette vieille débauche germanique, le Weinschmelg, dont la crudité un peu lourde irrite si fort M. Gervinus dans son histoire littéraire. Do huob er uf unde tranc, dit le contemporain très peu mystique de Wolfram et de Gottfried : il leva son verre et il but. Pour s’encourager, M. Hoffmann de Fallersleben ne manque pas de répéter exactement la citation en ouvrant chacune des séances où il donne la parole à sa muse. Qu’en dites-vous ? Ne voilà-t-il pas une inspiration tout allemande ? Ces refrains ne viennent pas, comme chez Béranger, selon le caprice et l’humeur joyeuse ; non, cela est réglé à dessein, avec ordre, avec méthode ; il y a une intention qu’on ne peut nier ; c’est l’introduction nécessaire. On serait tenté parfois de croire qu’il y a une secrète ironie sous cette bonhomie affectée. Ne serait-ce point, me disais-je, un persifflage, une provocation moqueuse à ce peuple si prompt à s’oublier dans l’insouciance de la vie de taverne ? Ne serait-ce point encore une raillerie cruelle sur le seul bonheur qui, selon le poète, serait laissé à l’Allemagne ? Mais non : je crois plus simplement que c’est là une mise en scène choisie par l’artiste, et ce refrain répété à des intervalles réguliers nous avertit que sa muse a choisi pour sanctuaire une brasserie de Berlin ou de Munich. Il veut être populaire, il veut surtout que ces cabarets d’Allemagne où professeurs, étudians, ouvriers, se rencontrent chaque soir, où toutes les idées belliqueuses s’éteignent, où la bière assoupit toutes les haines, il veut que ces cabarets, la meilleure défense des gouvernemens contre la turbulence de la pensée, entendent des paroles de liberté qui réveillent les endormis. Voilà pourquoi le poète est si respectueux envers les buveurs qu’il dérange ; il se fait humble, il s’excuse ; comme le trouvère sous les balcons du château, il supplie qu’on l’écoute, il demande un peu de patience pour une dernière chanson qu’il va dire. Encore une, laissez-le parler ! À la septième fois, si l’attention se lasse, il s’écriera : « Bancs et tables du cabaret, ne vous irritez point ! une chanson est bientôt dite. Quand vous étiez des arbres couverts de feuillage, les petits oiseaux ne vous ont-ils pas chanté maintes cantilènes sur tous les tons ? »

il est donc bien entendu que le poète nous a conduits dans une taverne allemande. Asseyons-nous et écoutons ; que va-t-il chanter ?