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on aurait pu croire que, si la poésie politique devait s’organiser, ce serait pour lutter contre nous, et que les deux rives du Rhin se renverraient d’éclatans défis. Ce n’est pourtant pas ce qui arriva. Un nouveau 1813 n’était plus possible. L’Allemagne se souvenait trop bien des amères déceptions qui suivirent son enthousiasme d’alors, et le peuple le plus candide ne peut être dupe deux fois de suite, à un si court intervalle, lorsque pendant vingt années de solennelles promesses ont été obstinément violées. Du mouvement national de 1813, on ne se rappela qu’une seule chose, les regrets qui accompagnèrent la victoire, les espérances trompées, les contrats entre les peuples et les rois audacieusement anéantis, et la muse politique se leva. S’il y a eu quelque chose de sérieux dans ce bruyant éveil de la libre poésie en 1840, c’est qu’il semble être une contre-partie de la glorieuse levée de boucliers illustrée par Ruckert, Schenkendorf, Arndt et Théodore Koerner. Après que Leipsig eut vengé léna, les peuples avaient espéré que leur salaire serait payé, que les constitutions promises, la publicité des tribunaux, la liberté de la presse, seraient enfin octroyées, puisqu’il y avait eu, en 1813, un contrat passé, en face du péril commun, entre la nation et les souverains ; ils avaient attendu long-temps, ils avaient gardé un sévère silence, interrompu seulement par les nobles réclamations d’Anastasius Grün. Maintenant, puisqu’une occasion inattendue ramène la poésie aux questions nationales, elle n’ira pas guerroyer avec l’épée brisée de Théodore Koerner, elle restera chez elle, en Allemagne, et parlera haut à ses princes. Voilà ce qu’a produit 1840. À cette cause il faut encore en ajouter une autre. Peu de temps après le traité du 15 juillet, le roi de Prusse mourut. Or, c’était Frédéric-Guillaume III qui avait fait les plus belles promesses à son peuple, lorsque, sept ans après la bataille d’Iéna et d’Auerstaedt, la Prusse abattue se relevait. Mais on avait toujours hésité à lui rappeler ses engagemens : le vieux roi avait tant souffert, sa vie avait été si cruellement éprouvée, il y avait entre son peuple et lui une telle solidarité, une si sincère communauté de souffrances, que le respect tempérait les rancunes et ajournait les réclamations. Quand le nouveau roi monta sur le trône, tous ces motifs disparaissaient, et l’opinion publique demanda à Frédéric-Guillaume IV qu’il acquittât les dettes de son père. Voilà comment l’excitation produite en 1840, et qui aurait pu armer contre nous les poètes et les tribuns littéraires, organisa au contraire une opposition nouvelle, occupée surtout des libertés intérieures du pays. Il y eut bien sans doute, dans ce pays où l’on écrit tant, quelques centaines de plumes qui nous firent la guerre.