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nations les deux puissances qui ont le plus contribué à répandre en tous lieux les lumières et la civilisation. L’alliance entre les deux souverains est un gage de tranquillité et de bonheur pour les deux royaumes, l’accord de la France et de l’Angleterre une assurance de paix pour l’Europe, et par suite pour les autres parties du globe dont celle-ci est l’aînée. Ces deux peuples se contrôlant, se modérant avec justice, avec l’instinct vif et prompt du vrai et du bien, conduiraient l’univers comme les deux lions des médailles grecques traînaient glorieusement le char de Cybèle. Nous faisons tous nos efforts pour croire à la sincérité d’un peuple qui, placé par la nature sur une île froide et pauvre, a l’habitude de regarder vers quel point souffle le vent pour diriger ses vaisseaux et ses espérances. C’est même afin d’apporter sur ce point quelque clarté que nous avons cherché à voir ce qui se passe depuis les bords de la mer Rouge jusqu’aux rives de l’Euphrate. Peut-être dira-t-on que les empiétemens de l’Angleterre, de ce côté, ne nous regardent pas, que nous ne devons point empêcher une nation alliée de s’étendre là où nous ne sommes pas ; peut-être même avancera-t-on que le gouvernement des Indes orientales, parfaitement en dehors de celui de la reine, est seul responsable de ces actes. À cette dernière objection, on pourrait répondre qu’au moins il importe de fixer des limites, du côté de l’Occident, à cette influence qui va toujours grandissant.

Un soir, en remontant le Nil, nous avions amarré notre barque dans une anse, et le soleil éclairait de ses derniers rayons des moissons qui sortaient comme à vue d’œil des bords limoneux du grand fleuve. « Quelle fertile vallée ! s’écria un officier anglais, debout à la poupe près de nous ; comme ce pays serait florissant, si nous en étions les maîtres ! Nous prendrions l’Égypte et la Syrie, l’Autriche aurait Candie et Rhodes, la Russie Constantinople… — Et la France ! — La France ! répondit l’Anglais, on lui laisserait Alger ! » Ces paroles, qui n’avaient pas sans doute une grande portée dans la bouche de celui qui les prononçait, n’en révèlent pas moins les rêves ambitieux de l’Angleterre ; arrivée à son point culminant, cette puissance croit pouvoir monter encore. Devons-nous nous laisser éblouir par l’éclat qui l’environne ? Elle a ses terreurs secrètes, qu’elle sait habilement dissimuler : tandis qu’elle se montre d’un côté si dédaigneuse et si hautaine, de l’autre elle regarde avec inquiétude l’ennemi vigilant et rusé qui la menace, tantôt d’une façon directe, tantôt par ses intrigues. À Constantinople, à la cour de Perse, chez les petits princes du nord de l’Inde, partout l’Angleterre rencontre la Russie !


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