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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

pour obtenir son adhésion. La détermination de Marie-Thérèse est due surtout aux importunités de Joseph, qui prenait peu de part à l’affaire des jésuites en elle-même, mais qui convoitait leurs biens avec une avidité impatiente. Une clause spéciale trahit ici les principes, les intérêts et l’influence occulte du jeune empereur. La cour de Vienne ne consentit à faire cause commune avec les Bourbons qu’à la condition expresse de disposer arbitrairement des biens des jésuites, sauf à compenser les pertes des individus par des pensions. Au reste, si le vœu de la France et de l’Espagne fut accueilli par cette cour, on ne saurait en accuser notre ambassadeur, car d’après le témoignage formel de l’abbé Georgel, son secrétaire et son ami, le prince Louis de Rohan oublia son mandat au point de recommander la société à l’impératrice[1].

Après avoir subi une dernière épreuve. Clément XIV prit enfin son parti. La publication du bref fut décidée ; mais avant d’arriver à ce grand acte, le pape, selon sa propre expression, voulut annoncer la foudre par quelques éclairs. Pensant que la déconsidération des jésuites devait précéder et justifier leur chute, il usa de cette influence étrange que la cour pontificale exerce sur les tribunaux. On permit aux particuliers de suivre les actions intentées depuis long-temps à la compagnie, et suspendues jusqu’alors par autorité supérieure. Les Romains apprirent avec étonnement que les jésuites relevaient aussi de la loi. Jusqu’alors les révérends pères n’avaient jamais perdu de procès à Rome ; c’est ce que le pape lui-même apprit au cardinal de Bernis[2]. Leurs dettes, la mauvaise administration de leurs séminaires, dérobées jusqu’alors avec un soin religieux, furent enfin livrées au grand jour. Trois visiteurs nommés pour examiner leur fameux Collegio Romano confisquèrent les propriétés de cet établissement au profit des créanciers. Ils déposèrent les meubles précieux au mont-de-piété, et vendirent à l’encan les provisions qui y étaient accumulées. On s’empara également des maisons de l’ordre à Frascati et à Tivoli. La rigueur fut plus grande encore dans les légations. Le cardinal Malvezzi, archevêque de Bologne, visita les instituts de la société dans son diocèse, y blâma tout avec une sévérité très partiale, et quitta les pères en emportant leurs clés et en laissant des menaces pour adieu.

  1. Le prince Louis de Rohan au duc d’Aiguillon ; Vienne, 11 septembre 1773. — On voit dans une autre partie de cette correspondance que le prince de Kaunitz méprisait le sacré collége et engageait leurs majestés impériales à ne plus répondre à ses lettres de bonnes fêtes, comme perte de temps inutile.
  2. Bernis à d’Aiguillon, 27 janvier 1773.