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Voilà Macpherson. La teinte générale de cette élégie est celle de Gessner et de Florian. Sans beaucoup de sagacité critique, on découvre aisément ici les rubans, la poudre et les mouches des boudoirs modernes, — Guarini et son Pastor fido dans « la fille aux bras blancs de Toscar, » — les skaldes dans le « fils de la Gloire, » — Jérémie dans ce vieillard « qui pleure auprès des eaux dormantes, » — Milton et Spencer dans « l’arc léger de la lune, » — et les pastorales du XVIIIe siècle dans la manière même et l’accent du poète. Rien de tout cela dans le vieux débris, bizarre et rude, qui accusera hautement la fraude. Le barde, insulté dans sa vieillesse par une jeune fille à laquelle il avait opposé je ne sais quel refus, fait valoir, dans cette ballade très courte et assez sèche, ses anciens titres, sa bravoure d’autrefois et l’amour d’Evirallin pour lui ; il part de là pour raconter en quelle circonstance et de quelle manière il a obtenu jadis la main de sa fiancée. Comme son interlocutrice l’avait appelé très impoliment vieux chien, c’est contre cette désignation qu’il se récrie, et c’est par là qu’il commence :

« Vieux chien ! — Il est un chien, celui qui n’obéit pas. — Mais je te le dis, fille peu sage, j’ai été vaillant en bataille, maintenant je suis usé d’années.

« Quand nous nous rendîmes près de l’aimable Erin à la main brillante, favorite dédaigneuse de Cormac, nous allâmes au lac Lego, douze des plus vaillans guerriers qui fussent sous le soleil.

« Veux-tu savoir notre idée ? C’était de faire fuir les lâches. Bran, fils de Leacan, salua doucement et résolument la bande qui n’avait jamais été souillée.

« Il nous demanda ensuite en termes amicaux pourquoi nous venions. Caoilte répondit à notre place : « Pour demander ta fille[1] ! »

Le caractère brutal de cette pièce correspond exactement à celui de la conversation entre Patrick et Oïsian, que nous avons citée ; toujours le fait cherche à se graver dans le rhythme ; quand l’image se présente, elle est brève ; la couleur est abrupte, la barbarie se fait jour partout : — « C’est le combat de deux lions… c’est le choc de deux vagues… Le sang chaud sort des blessures… Ils frappent comme le marteau sur l’enclume… Cinquante épées bleues paraissent sur la montagne… Je coupai la tête de l’ennemi et l’emportai par les cheveux. » Ce dernier exploit est peu gracieux sans doute ; mais on donnerait tout le

  1. Suireadh Oisein air Eamhair-aluinn (Comment Oïsian obtint la main d’Evirallin). — Le poème est en vers de huit pieds :

    Is Cuth-daine far nach ioranluine, etc.

    (Transactions of the Irish society, I, p. 53).