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LES PSEUDONYMES ANGLAIS.

y bâtit une maison qu’il appela hôtel Carick. Macpherson trouva dans Mallet le cercle de pierre de Loda ; par une erreur bizarre, il prit un nom de lieu pour une divinité.

Mais rien ne désabusait des esprits résolus à ne point perdre leur poète, à ne pas effacer les lettres de noblesse de l’Écosse. Les mille supercheries de Daniel et de Psalmanazar furent mises en œuvre avec adresse ; on paya un petit garçon pour apprendre par cœur la traduction gaélique de quelques fragmens ; on persuada à un vieux capitaine idiot, fanatique de son pays, que ces fragmens, il les avait entendus depuis sa première enfance ; on fit grand bruit d’un manuscrit keltique long-temps conservé au collége des jésuites de Douai, et qui s’était égaré par malheur. Un fait indubitable, c’est que, dans les manuscrits erses ou keltiques qui ne sont pas rares, et dont quelques-uns remontent au XVe siècle, personne n’a encore découvert un seul vers cité par Macpherson.

Quant aux fragmens avérés que la société irlandaise et les archéologues écossais ont recueillis, il est curieux de voir ce que l’auteur en a fait et ce qu’ils sont devenus sous sa main. Le commencement du IVe chant de Fingal, poème qui d’ailleurs est le chef-d’œuvre de la falsification ossianique, offre une de ces ballades à peu près entière, c’est-à-dire chargée d’ornemens de toutes couleurs ; en comparant ensemble les deux morceaux, nous saisirons ainsi le procédé de Macpherson sur le fait même.

« Qui donc, dit le poète moderne, s’avance en chantant sur la colline, comme l’arc léger de la lune ? C’est la fille à la voix amoureuse, c’est la fille aux bras blancs de Toscar. Souvent tu as écouté ma chanson, souvent donné les larmes de la beauté. Viens-tu écouter les guerres de mon peuple, écouter les actions d’Oscar ? Quand cesserai-je de pleurer près des eaux dormantes de Cona ? Mes années se sont passées dans la bataille ; mon âge est dans l’ombre de la douleur.

« Fille à la main de vierge, je n’étais pas triste et aveugle, sombre et abandonné, quand Evirallin m’aima. Evirallin aux longs cheveux bruns-noirs, à la poitrine blanche, fille de Brenno. Mille héros recherchaient la vierge ; elle refusait son amour à mille. Les enfans de l’épée étaient dédaignés. Gracieux était Ossian devant elle. J’allai pour demander sa main jusqu’aux ondes noires du Lego. Douze de mon peuple étaient là, fils de Morven aux belles rivières. Nous parvînmes jusqu’à Brenno ami des étrangers, Brenno à la cuirasse sonnante. D’où viennent, s’écria-t-il, ces armures de fer ? Peu facile il sera de gagner la vierge qui a refusé les fils d’Érin aux yeux bleus ; mais sois béni, fils de Fingal. Heureuse est la vierge qui t’attend ! Si douze filles de la beauté étaient à moi, tu choisirais entre elles, fils de la gloire ! »