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DE L’ÉTAT DES FORCES NAVALES DE LA FRANCE.

rions notre conquête d’Alger, ce vaste champ ouvert à notre commerce et à notre civilisation. Et puis la Méditerranée est trop loin de l’Angleterre : ce ne sont pas les arsenaux de Malte et de Gibraltar qui pourront entretenir une flotte à vapeur, si difficile et si coûteuse à approvisionner, et toujours en crainte de se voir réduite à l’inaction par le défaut de combustible. Libre donc à la France d’agir victorieusement sur ce théâtre ; tous ses projets, elle pourra les accomplir avec des navires à vapeur, sans s’inquiéter des escadres à voiles, dont toute la surveillance sera trompée, dont toute la vitesse sera devancée.

À la marine à vapeur encore, et à elle seule, est réservé le rôle d’éclairer nos côtes et de signaler l’approche des ennemis, de couvrir notre cabotage et de s’opposer de vive force, quand faire se pourra, aux débarquemens, aux bombardemens et à toutes les agressions de l’ennemi, car il va sans dire que la marine à vapeur ne saurait nous donner d’avantages qui ne puissent être retournés contre nous. La moitié de nos frontières est frontière maritime. Jadis cette vaste étendue de côtes pouvait être défendue par notre armée de terre : presque partout inaccessible, ou au moins d’une approche dangereuse aux navires à voiles, les débarquemens y étaient peu à craindre, et les points importans, les grands ports et les lieux où la nature n’avait rien fait pour la défense, l’art s’en était emparé et les avait mis hors de toute atteinte. Aujourd’hui tout est changé : avec des navires à vapeur, nos côtes peuvent être abordées sur toute leur vaste étendue ; de Dunkerque à Bayonne, l’Angleterre peut contre nous tout ce que nous pouvons contre elle. En quelques heures, une armée embarquée sur une flotte à vapeur à Portsmouth ou dans la Tamise se présentera sur un des points de notre littoral, pénétrera dans nos rivières, opérera un débarquement ou détruira avec la bombe nos villes, nos arsenaux et nos richesses commerciales. La rapidité de ses mouvemens assurera son succès. L’armée française, ses forts et ses canons ne pourront être partout à la fois, et l’on saura en même temps l’apparition de l’ennemi, l’accomplissement de ses projets et son départ. À l’heure qu’il est, si une déclaration de guerre survenait, nous apprendrions dès le lendemain peut-être la destruction de Dunkerque, de Boulogne, du Havre, etc., que rien ne peut défendre contre un bombardement. Nous aurions la douleur de voir le drapeau anglais flotter dans la rade de Brest, notre grand arsenal, jusqu’à présent protégé par les difficultés de navigation multipliées à ses alentours, difficultés que l’emploi des bateaux à vapeur ferait disparaître.

Ainsi, à l’aide de la marine à vapeur, l’Angleterre est en état de