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pays avec des paroles flatteuses et des chiffres erronés ; on s’est persuadé, et l’on a réussi à lui persuader qu’il possédait une marine à vapeur forte et respectable. Erreur déplorable, source d’une confiance plus déplorable encore.

Je ne suis pas de ceux qui, dans l’illusion de l’amour-propre national, nous croient en état de lutter sur mer d’égaux à égaux contre la puissance britannique ; mais je ne voudrais pas non plus entendre dire qu’en aucun cas nous ne puissions lui résister.

Ma pensée bien arrêtée est qu’il nous est possible de soutenir la guerre contre quelque puissance que ce soit, fût-ce l’Angleterre, et que, rétablissant une sorte d’égalité par l’emploi judicieux de nos ressources, nous pouvons, sinon remporter d’éclatans succès, au moins marcher sûrement vers notre but, qui doit être de maintenir à la France le rang qui lui appartient.

Nos succès ne seront points éclatans, parce que nous nous garderons bien de compromettre toutes nos ressources à la fois dans des rencontres décisives.

Mais nous ferons la guerre sûrement, parce que nous nous attaquerons à deux choses également vulnérables, la confiance du peuple anglais dans sa position insulaire, et son commerce maritime.

Qui peut douter qu’avec une marine à vapeur fortement organisée nous n’ayons les moyens d’infliger aux côtes ennemies des pertes et des souffrances inconnues à une nation qui n’a jamais ressenti tout ce que la guerre entraîne de misères ? Et à la suite de ces souffrances lui viendrait le mal, également nouveau pour elle, de la confiance perdue. Les richesses accumulées sur ses côtes et dans ses ports auraient cessé d’être en sûreté.

Et cela pendant que, par des croisières bien entendues dont je développerai plus tard le plan, nous agirions efficacement contre son commerce répandu sur toute la surface des mers.

La lutte ne serait donc plus si inégale !

Je continue de raisonner dans l’hypothèse de la guerre. Notre marine à vapeur aurait alors deux théâtres d’action bien distincts : la Manche d’abord, où nos ports pourraient abriter une force considérable, qui, sortant à la faveur de la nuit, braverait les croisières les plus nombreuses et les plus serrées. Rien n’empêcherait cette force de se réunir avant le jour sur tel point convenu des côtes britanniques, et là elle agirait impunément. Il n’a fallu que quelques heures à sir Sidney Smith pour nous faire à Toulon un mal irréparable.

Dans la Méditerranée, nous régnerions en maîtres ; nous assure-