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Le revoilà après tant d’années qui, semblable au fond, le cœur insoumis par la vieillesse, nous donne la vie du plus rigide et du plus mortifié des pénitens ; il a quelque peine, il nous l’avoue, à s’y assujétir ; son récitatif est fréquemment interrompu par des retours qui ont le sens des versets de Job sur le néant des choses, ou celui des distiques de Mimnerme sur la fuite de la jeunesse. Nous allons tâcher de le suivre, et de suivre à la trace son saint et sublime héros. Nous profiterons, chez le biographe, de toutes les belles paroles. Le critique, quand il s’agit de M. de Châteaubriand, n’en est plus un ; il se borne à rassembler les fleurs du chemin et à en remplir sa corbeille ; c’était l’office, dans les fêtes antiques, de ce qu’on appelait le canéphore ; et même en cette histoire de cloître, si l’on nous passe l’image, c’est ainsi que nous ferons.

Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, né en 1626, neveu d’un surintendant des finances, neveu aussi de l’évêque d’Aire et de l’archevêque de Tours, cousin-germain du ministre d’état Chavigny, fut tonsuré encore enfant, chargé de bénéfices et destiné à l’héritage ecclésiastique de son oncle de Tours. On l’appliqua en attendant aux études tant sacrées que profanes, et on le livra au train du monde. Il donnait à l’âge de douze ans (1639) une édition d’Anacréon avec des scolies et commentaires grecs de sa façon, et une dédicace à son parrain le cardinal de Richelieu, toute grecque également. On a fort relevé le contraste de cette édition précoce avec la destinée future de l’enfant. Un jour un visiteur à la Trappe en toucha un mot au saint abbé : « Il me répondit qu’il avoit brûlé tout ce qui lui en restoit d’exemplaires, qu’il n’en avoit gardé qu’un dans sa bibliothèque et qu’il l’avoit donné à M. Pellisson, lorsque celui-ci vint à la Trappe après sa conversion, non pas comme un bon livre, mais comme un livre fort propre et bien relié ; que dans les deux premières années de sa retraite, avant d’être religieux, il avoit voulu relire les poètes, mais que cela ne faisoit que rappeler ses anciennes idées, et qu’il y a dans cette lecture un poison subtil caché sous des fleurs qui est très dangereux, et qu’enfin il avoit fallu quitter tout cela. » Quand vint la lutte sérieuse, Rancé, on le voit, n’hésita point ; le culte charmant résista peu en lui à cet endroit ; aussi il n’était que scoliaste et non poète, il étouffa plus aisément sa colombe, qui n’était que celle d’Anacréon.

À la suite de la dédicace à Richelieu se trouvent, dans l’Anacréon de Rancé, quelques petites pièces grecques anonymes à la louange de l’éditeur. Chardon de La Rochette, dans ses Mélanges de Critique et