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de prévarication, on ne peut destituer un membre de la Ruota qu’en lui donnant de l’avancement, c’est-à-dire en l’élevant au cardinalat. L’esprit de corps n’a jamais fléchi un seul instant ; Galilée est aujourd’hui aussi proscrit qu’il y a deux siècles, le saint-office subsiste, l’inquisition proclame régulièrement ses ordonnances ; l’enseignement, les cérémonies, les tribunaux, rien n’a changé[1]. En 1830, l’Europe s’agitait, le contre-coup de la révolution arrivait aux portes de Rome, et les cardinaux (la chose est historique) faisaient fouiller les archives pour voir comment on s’était comporté en pareille circonstance. En Europe, cependant, l’innovation a pénétré partout. La famille ne peut pas rester immobile ; elle se multiplie, et cela seul la fait changer. La famille est attachée aux intérêts toujours variés des nouvelles générations ; elle enfante ou elle suit le mouvement commercial et industriel ; c’est elle qui adopte toutes les découvertes et les inventions, et par la famille le mouvement imperceptible de l’économie se propage dans la commune, dans la province, dans l’état, qui résume et protège les intérêts de toutes les familles. Les sentimens suivent nécessairement le mouvement économique, et la femme apporte au sein de la famille un gracieux élément de mobilité et de progrès ; elle consacre et poétise, par le renouvellement des mœurs, le renouvellement des intérêts. Au contraire, le célibat, en arrachant l’individu à l’influence de la famille, l’arrache aussi au mouvement des idées, des mœurs et des intérêts. L’aristocratie des prélats romains en est un triste exemple. La cour de Rome est aujourd’hui ce qu’elle était au XVe siècle : le luxe, l’étiquette, l’administration, les dépenses, tout chez elle est resté comme au temps où les richesses de l’Europe et de l’Amérique contribuaient à cette fastueuse représentation du catholicisme. Le monde a marché, les ressources ont manqué, dès-lors Rome les a extorquées à la population, et c’est la propriété, c’est la famille qui ont été précisément en butte aux exactions du pouvoir. La commune, ce foyer de la propriété et de la famille, est aujourd’hui exploitée par l’aristocratie des prélats. Ainsi, dans les états romains, c’est le gouvernement qui nomme les con-

  1. Sur un édit du 10 mars 1834, l’inquisition de Forli condamnait la nécromancie, l’astrologie, les cérémonies mahométanes et païennes, la mère chrétienne qui offre son sein à un enfant juif. — En 1828, le cardinal Giustiniani, évêque d’Amola, condamnait les blasphémateurs à la perforation de la langue, et promettait dix ans d’indulgence aux délateurs. — Le cardinal Cavalchini, gouverneur à Rome en 1814, rétablissait la question dans les tribunaux : il est vrai que Gonzalvi l’abolissait l’année suivante, mais plus tard le cardinal Pacca l’a remplacée par le chevalet.