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les hommes commence sous l’action vivifiante de l’amour universel. L’église succède au Christ, et représente le gouvernement de Dieu sur la terre. Les sacremens sont les moyens qu’elle emploie pour disposer de la grace et administrer les dons de l’amour. Le prêtre tyrolien parle longuement des droits innés et acquis de l’église, il exhume le droit canon tel qu’il a plu à la cour de Rome de nous l’octroyer, et s’efforce de le réhabiliter par des subtilités bizarres qui nous initient, peu s’en faut, aux bienfaits de l’inquisition. En définitive, il voit dans l’avenir la papauté fondant le règne du Christ ; il attend un état juridique présidé par Rome, un bonheur universel défini par une nouvelle algèbre du sentiment, et il espère tous ces prodiges, parce que l’église, prodige elle-même, peut se développer à l’infini, si Dieu veut manifester sa grandeur.

En voyant le rôle que M. Rosmini donne à la charité dans ce monde, on se souvient qu’il est le fondateur de l’ordre des pères de la charité chrétienne. La charité, de l’avis du philosophe italien, est la seule voie de salut ; sans la charité, le christianisme est une religion morte ; la science moderne, séparée des croyances, conduit au désespoir. C’est en espérant dans les miracles de la charité, que M. Rosmini prétend triompher du découragement. Ainsi, partout il cherche, par l’idée de l’intervention divine, à échapper aux conséquences de son système. Dans la métaphysique, il a divinisé la pensée pour détruire le scepticisme ; dans la morale, il a dû remonter à Dieu pour trouver un principe qui obligeât ; dans la philosophie de l’histoire, il présente la rédemption comme la source de l’espérance infinie qui doit correspondre à nos désirs infinis. Dans la religion enfin, il cherche un miracle qui puisse élever l’humanité à sa perfection dernière. Le miracle, d’après M. Rosmini, a déjà commencé. Nos sentimens ne supportent plus ni l’iniquité de l’esclavage, ni l’humiliation de la femme, ni les spectacles des gladiateurs ; l’homme n’est plus un instrument, la vie de l’homme n’est plus un jeu pour nous. La femme est libre, et cependant il n’y avait pour elle d’autre alternative dans l’antiquité que la réclusion ou le mépris. Si nos sentimens se perfectionnent, ce ne sera pas en vertu d’une science abstraite, ce sera par la réalisation surnaturelle de l’association universelle du genre humain. Alors tous les états seront soumis à l’église, toutes les lois seront jugées par le gouvernement de Rome. « On demande un seul code pour tous les états italiens, dit M. Rosmini dans son introduction à la Philosophie du Droit ; c’était là le vœu de César, de Théodoric, de Frédéric et de Napoléon. Mais les codes modernes ferment la voie aux réformes, tuent la science,