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LA VILLE DE LEEDS.

rands à bras, étant la plus malheureuse, donne le niveau. Dans toutes les industries où les femmes et les enfans sont en concurrence avec les hommes, si l’enfant fait le travail de l’homme, le travail ne rend que le salaire d’un enfant[1]. Toutes les fois, au contraire, qu’une industrie est de nature à repousser l’intervention des enfans et des femmes, ou que la volonté des hommes les exclut, le salaire se maintient à un taux qui suffit pour nourrir la famille de l’ouvrier.

On comprend maintenant quel immense changement le tissage à la vapeur va opérer dans l’industrie de Leeds. Le travail des hommes, qui était le principal, deviendra l’accessoire ; celui des femmes et des enfans dominera comme il domine partout ailleurs. Les ouvriers adultes et valides devront, dans plusieurs cas, chercher un autre emploi ; pour un temps du moins, les enfans nourriront les pères ; la société tout entière se trouvera matériellement et moralement abaissée. Je suis loin d’en conclure que l’on doive reculer devant un progrès mécanique, qui n’est lui-même que la conséquence des progrès antérieurs ; mais en insistant sur les souffrances qui en peuvent sortir, je crois expliquer l’effroi profond avec lequel les ouvriers envisagent la perspective de ces innovations, et les recommander à toute la sollicitude de la puissance sociale, à laquelle il appartient peut-être d’adoucir la transition de l’état ancien à l’état nouveau.

Les fabriques du West-Riding et de Leeds en particulier se sont remises plus lentement que celles du comté de Lancastre de la crise qui avait frappé l’Angleterre en 1840, et parmi les établissemens de Leeds, les manufactures de draps sont celles qui ont le plus souffert. Au mois de juin 1841, l’inspecteur de ce district, M. Saunders, annonçait que le nombre des ouvriers s’était accru dans les fabriques de mérinos, de stuffs et de casimirs, tissus vers lesquels inclinait la mode, mais qu’il avait diminué d’un sixième dans les fabriques de draps[2].

La manufacture de drap, bien qu’étant une industrie indigène et qui dépend moins de l’exportation que la manufacture de coton, n’a pas cependant la même solidité. À la prendre année par année, on la trouve sujette à d’assez grandes fluctuations ; elle paraîtra stationnaire, si l’on envisage des périodes plus étendues. Depuis dix ans, les exportations de l’Angleterre en articles de laine se maintiennent à une limite moyenne de huit millions sterling. En décomposant les chiffres

  1. « Child’s wages prevail. » Chapman’s report.
  2. Selon ce rapport, les seules fabriques de laine, de coton et de lin dans le West-Riding renfermaient, en 1843, 86,601 ouvriers.