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d’empire, dont les montagnards des Waldstetten furent les premiers et les plus héroïques représentans[1].

Il faut reconnaître toutefois que cette révolution n’apparaît point isolée, sans lien avec ce qui l’entoure. Les montagnards sont défians, mais curieux, toujours en garde contre le dehors, mais aussi très attentifs à ce qui peut les y servir ; la Suisse, par sa nature, diffère de tout, et, par sa position, n’est étrangère à rien. Aussi voit-on ce petit pays distinctement mêlé à tous les grands mouvemens qui ont agité l’Europe depuis César : guerres sans cesse renaissantes des Gaulois contre Rome, même depuis l’empire ; invasions, luttes féodales, avénement de la bourgeoisie, réforme et révolutions modernes. Au XIIIe siècle, il en fut ainsi. Cette époque voyait s’ouvrir une révolution immense, l’affaissement de tout un monde, du monde féodal, dont le sommet, divisé entre la papauté et l’empire, commence alors décidément à chanceler. Cette décadence devait avoir d’autant plus d’action sur les contrées helvétiques, que leur réunion à l’Allemagne ou leur adhésion à telle famille impériale n’avait pas toujours eu lieu sans difficultés. Dans l’Helvétie romane, ou royaume de Transjurane, les seigneurs, libres vassaux de la couronne, avaient long-temps lutté pour leur indépendance, contre l’empire d’abord, puis, en se rattachant à lui lorsqu’il devint un titre de liberté, contre les puissans feudataires allemands qui voulaient les astreindre en son nom à leurs suzerainetés particulières. Ces feudataires étaient les Rheinfelden, les Zœringen, ces rivaux des empereurs franconiens et souabes. La grande anarchie qui suivit la chute de ces derniers laissa le champ libre aux ambitions individuelles. Nul n’en profita autant que les Habsbourg. Ils s’élevèrent rapidement dans l’Helvétie allemande, comme protecteurs, défenseurs avoués des couvens et des églises, gouverneurs, landgraves, haut-justiciers, baillis ou lieutenans de l’empire. Tout cela ne se fit pas, ne pouvait pas se faire sans des usurpations réelles plus ou moins bien colorées de légalité au point de vue féodal. La fortune avait juré de faire subitement grandir cette maison, et quand elle s’y met, la fortune n’y regarde pas de si près. Par mille voies donc, dès le XIIIe siècle, les Habsbourg enlacent l’Helvétie allemande : ils y rallient, ils y tiennent sous leur dépendance chevaliers et bourgeois ; mais ils sont arrêtés, vers la ligne de l’Aar, par les comtes de Savoie et Berne, leur alliée. Ces comtes, seigneurs transjurains, s’étaient élevés sur la ruine des autres vassaux que Berne tenait en respect dans l’Helvétie occidentale. Enfin, les Habsbourg atteignent avec Rodolphe Ier l’apogée de leur fortune. La mort de cet empereur soulève une attente, un frémissement général, et bientôt même une vaste réaction contre sa dynastie, qui perd l’empire d’abord, et successivement toutes ses possessions dans cette Helvétie, berceau de sa grandeur. Les montagnards des Wald-

  1. Il est peut-être curieux de rappeler aussi le rôle marqué des paysans dans les révolutions de la Suède, d’où l’on veut que les Suisses soient venus.