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gauche, mais s’ouvrant cependant sur le monde à l’horizon. Puis vous montez, la vallée tourne, l’espace se rétrécit, les montagnes se redressent, le torrent se précipite avec un bruit sauvage. Tout cela est réel, palpable, mais étrange, et déjà on se sent éloigné de la terre. Enfin, vous arrivez au fond, au sommet désert, où il n’y a plus que les glaciers, leurs grottes impénétrables, les mystérieux échos des parois immobiles, et çà et là, dans la grave solitude des cimes, de silencieuses apparitions, quelque fantastique rocher ou une figure humaine à moitié perdue dans le nuage.

II. — PREMIÈRES RECHERCHES SUR LES ORIGINES DE LA CONFÉDÉRATION ET SUR GUILLAUME TELL.

À ce nom de Tell, l’imagination rapproche aussitôt, dans une impression unique, deux ordres de faits cependant bien distincts : la révolution même qui amena l’indépendance de la Suisse, qui en fit un état, une nation nouvelle, et les aventures particulières de celui qui fut regardé partout comme le héros populaire et le type de cette révolution.

La critique s’est également exercée sur ces deux ordres de faits, et si elle arrive, sur le premier, à des conclusions plus précises que sur le second, ce n’est pas avec moins de peine ni sans abandonner en chemin, dans le vague ou l’obscurité des légendes, un grand nombre de traits qu’elle n’a pu ni éclaircir ni fixer. Ce ne sont pas, il faut s’y attendre, les moins frappans, les moins universellement connus. Il n’est pas jusqu’au serment du Grutli (nos critiques répugnent à le dire, et il faut leur en savoir gré) qui ne se trouve placé hors du domaine de l’histoire, d’où l’on ne saurait inférer pourtant qu’il soit nécessairement hors de la vérité. Les anciens avaient fait de l’histoire une muse sévère, mais enfin une muse, une inspirée. Elle était obligée sans doute de beaucoup s’enquérir, de beaucoup savoir, mais on lui permettait aussi de croire et de deviner. Elle visait plutôt à donner l’impression et la leçon vivante des faits que l’exacte et froide réalité. Il n’en est plus tout-à-fait de même aujourd’hui. Heureusement l’histoire reste encore une muse aussi aimable, aussi moralement instructive que docte et sagace, avec les grands historiens de notre temps. Tels faits que la critique ne parvient pas à prouver lui appartiennent toujours par un certain côté, ne fût-ce que pour avoir donné naissance à des fables. Ensuite ce qui ne peut pas se prouver est-il nécessairement faux ? Conclusion énorme, que l’amour de la science fait tirer quelquefois cependant. Quoi de plus naturel que les libérateurs helvétiques se soient rassemblés, de nuit, dans une clairière voisine du lac et de leurs trois cantons ? Le fils de Nicolas de Flue, appelé avec d’autres personnes à rendre un témoignage public sur les vertus et la sainteté de son père, raconta que, l’ayant souvent entendu se lever pendant la nuit et sortir de la maison, il l’avait suivi secrètement, qu’il était ainsi arrivé sur ses pas dans un lieu solitaire où le saint s’était jeté à genoux, comme pour