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leur cour avec l’empereur, les cardinaux résolurent de lui rendre des honneurs inusités ; malgré l’étiquette séculaire qui ferme le conclave aux plus grands princes, Joseph fut supplié d’y paraître. Il s’y rendit accompagné du grand-duc Léopold. Les cardinaux allèrent tous processionnellement à leur rencontre. L’un des membres les plus distingués du sacré collége, que l’opinion publique portait au rang suprême, le cardinal Stoppani, prit Joseph par la main et l’introduisit au conclave. Quand l’empereur, selon l’usage, voulut déposer son épée, un cri général l’engagea à garder cette arme, proclamée le soutien du saint-siége. Tous les cardinaux l’entourèrent alors avec les témoignages d’un tendre respect. Albani, dévoué à l’Autriche, feignit même de pleurer de joie à sa vue. Joseph reçut ces avances extraordinaires avec une froide courtoisie. Il caressa l’amour-propre de Bernis par un accueil flatteur ; en revanche, lorsque Torrigiani lui fut présenté, il se contenta de lui dire : « J’ai beaucoup entendu parler de vous. » Mais son premier soin fut de demander le cardinal d’York : « Le voici, lui répondit le petit-fils de Jacques II ; voici le cardinal que votre majesté impériale veut bien honorer de son souvenir. » Joseph salua Stuart avec une nuance d’égards très marquée, il le pria de lui montrer sa cellule : « Elle est bien petite pour votre altesse, » dit-il après l’avoir visitée. En effet, Whitehall était plus grand.

Au moment où l’empereur se disposait à prendre congé de leurs éminences, les démonstrations devinrent plus impétueuses. « Sire, s’écriait-on de toutes parts, que votre majesté impériale protége le nouveau pape, afin qu’il puisse mettre un terme aux troubles de l’église. » Les cardinaux obtinrent pour réponse que « c’était à eux d’y pourvoir, en choisissant un pape qui sût imiter Benoît XIV, et ne vouloir rien de trop ; que l’autorité du pape était incontestable dans le spirituel, qu’il devait s’en contenter ; que surtout, en traitant avec les souverains, il ne devait jamais s’oublier au point de violer les règles de la politique et de la bonne éducation. » Après cet avis, l’auguste voyageur prit congé de ses hôtes, refusa les fêtes déjà préparées, et partit la nuit même pour Naples[1].

Certes, c’était avec désespoir que le sacré collége se courbait ainsi devant les princes, mais la nécessité qui l’y forçait l’exposait à toutes

  1. Tous les détails relatifs à la visite de l’empereur au Vatican et au Gran-Gesu ont été donnés par ce prince lui-même au marquis d’Aubeterre, ambassadeur de France. Joseph s’étendit avec complaisance sur sa politique dédaigneuse à l’égard du saint-siége, déclara en propres termes qu’il connaissait trop la cour de Rome