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REVUE. — CHRONIQUE.

approprié une mélodie d’un caractère archaïque. Rien enfin ne manquait pour produire l’illusion, pas même les costumes exacts et les masques ; sans doute, dans ce poétique fanatisme d’érudition inventive et pour ainsi dire vivante, dans cette passion de l’antiquité qui va jusqu’à relever le proscenium, jusqu’à reprendre le masque d’Æsopus et de Roscius, il ne faut voir qu’une ingénieuse fantaisie, qu’un caprice de savans en belle humeur. Chez nous, la robe courte et les cheveux coupés des courtisanes, les longues bandelettes et la tunique des matrones, la toge ample des hommes libres et le petit manteau retroussé des esclaves, se trouveront toujours dans les notes des érudits plutôt que dans le vestiaire des comédiens. Cherchons donc dans les livres ce que nous demanderions en vain à la scène ; nos poètes nous ont donné le goût des spectacles dans un fauteuil. C’est par la comédie comme par la satire qu’on pénètre véritablement dans les mœurs et dans les habitudes d’esprit des Romains. La comédie ne peut peindre que ce qu’elle voit, la satire ne peut attaquer que ce qu’elle a sous les yeux. De là l’originalité, bien plus réelle qu’on ne le dit, de Plaute et de Juvénal au sein d’une littérature d’imitation.

L’idéal et l’imagination, qui avaient tenu tant de place dans la poésie favorisée des Grecs, manquèrent à la poésie des Latins ; heureusement pour ce genre en quelque façon critique, la sérénité de l’inspiration n’était pas nécessaire. La satire puise ses matériaux dans le temps même ; elle prend ses couleurs autour d’elle. Un poète anglais, Young, dit quelque part, à propos des satiriques : « Un vin médiocre peut faire un très bon vinaigre. » Je ne prétends pas insinuer par là le moins du monde que l’ironie ait été pour la poésie latine un pis-aller, sur lequel elle a bien fait de se rabattre après avoir échoué ailleurs ; ce serait une impertinence gratuite envers la littérature qui a donné, non pas à l’ancienne Rome seulement, mais à tant de générations qui sont venues depuis, les délicatesses de Catulle, la grace charmante d’Horace, les accens profonds de Lucrèce, et cette mélopée de sirène dont Virgile a gardé le secret. La seule remarque sur laquelle je veuille insister, c’est que la veine railleuse fut plus particulièrement propre à ce peuple de laboureurs, de soldats et d’hommes d’affaires ; c’est que d’abord dans l’inculte satire de Lucile, dans le mètre à demi barbare de

    Stichus, laquelle n’est qu’une orgie d’esclaves mêlée de ballets, les acteurs tendaient un verre plein au joueur de flûte, qui se faisait un peu prier, mais qui l’avalait avant d’enfler de nouveau les joues :

    Quando bibisti, refer ad labias tibias…
    … Jam infla buccas

    Pour payer son écot, le musicien donnait alors un nouvel air, cantionem veteri pro vino novam. Dédaignées peut-être par les chevaliers de l’avant-scène, de pareilles bouffonneries faisaient rire le populaire, les grossiers affranchis de la cavea, tous ces mangeurs de pois chiches, auxquels la politesse grecque et ses raffinemens n’allaient guère. C’est le public dont parle Horace, ce public qui, au beau milieu d’une comédie, demandait à grands cris quelque pugilaire ou quelque ours, poscunt aut ursum aut pugiles.