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du contre-amiral, des officiers de l’escadre, de M. Reine et de tous nos nationaux, n’est-ce pas même malgré les vœux aujourd’hui constatés des populations indigènes opprimées par les trafiquans méthodistes, qu’on s’est décidé à désavouer une œuvre qui n’est pas moins celle de M. Bruat que de M. Dupetit-Thouars ?

Le ministère use assurément de son droit en déclinant toute communication ultérieure et en refusant de mettre sous les yeux de la chambre et du pays les rapports du gouverneur des possessions françaises dans l’Océanie ; mais l’opinion publique use aussi du sien en tirant de ce refus des conséquences naturelles. Chacun devine qu’en présence des hommes et des choses M. Bruat a reconnu et constaté l’impossibilité de s’établir dans ce pays sur un autre pied que celui de la souveraineté ; chacun pressent que la concentration aux îles Marquises et l’abandon matériel de Taïti seront la conséquence plus ou moins prochaine du douloureux échec subi par notre influence.

Cette perspective échappe moins encore au cabinet qu’au public ; de là des hésitations et des retards dans les mesures les plus urgentes par leur nature même. Deux navires anglais ont seuls jusqu’à ce jour mis à la voile pour ces parages. C’est par eux que nos marins apprendront, comme l’avait prévu M. Dufaure, la résolution de leur gouvernement. Le contre-amiral Hamelin attend des ordres, et réclame avec juste raison des instructions plus propres que celles de son prédécesseur à couvrir sa responsabilité. Il ne veut pas avoir le sort de M. Dupetit-Thouars ; il ne veut pas un jour se trouver désavoué. Mais il paraît que des instructions précises sont très difficiles à arracher au cabinet : on répond à l’amiral que telle éventualité qu’il prévoit ne se réalisera pas ; on préfère se renfermer dans des termes généraux ; on appréhende d’articuler des choses trop positives. Laisser garnison française à Taïti est aujourd’hui fort difficile, en admettant même qu’il n’y ait pas d’engagement contraire d’un autre côté ; reporter nos douze cents hommes aux îles Marquises, sur ces affreux rochers sans eau potable et sans terre végétale, exposer nos soldats à périr par la nostalgie et presque par la famine, sans aucun intérêt sérieux pour la France, c’est là une résolution à laquelle il est fort douteux que les chambres consentent à s’associer, lorsqu’elles seront mises au courant du véritable état des choses à Noukahiva et au fort Collet. L’évacuation complète, tel serait donc dans un avenir plus ou moins rapproché le terme final d’expéditions dispendieuses entreprises avec irréflexion, et qui forment un triste pendant aux négociations de l’acte du 20 décembre sur l’extension du droit de visite. Échapper à la ratification de ses propres traités et se débarrasser de ses conquêtes, tel a été depuis trois ans le principal travail du cabinet.

Malheureux dans ses transactions lointaines, il a été mieux servi par la fortune dans la grande question qui depuis dix ans s’agite à nos portes. La situation de l’Espagne se présente sous un aspect plus favorable aux intérêts français ; et soit qu’il faille l’attribuer au cours naturel des choses ou à l’ha-