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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

de la lassitude, parvient seul à lui arracher. A-t-il atteint le prix de cette patience prodigieuse, l’habitude s’est changée en tempérament, et les vieux porporati, étayés de conclavistes méfians et spirituels, ne sont occupés qu’à deviner, à tromper, à dérouter les barbares qu’ils sont forcés d’accepter pour collègues.

Le choix du ministère français devait naturellement tomber sur le cardinal de Bernis. Retiré dans son diocèse d’Alby après sa chute, il avait déployé des vertus épiscopales que sa jeunesse n’avait pas fait espérer. La plus grande partie de ses revenus passait en aumônes, le reste suffisait au maintien de sa dignité extérieure. Charitable et magnifique, Bernis jeta plus d’éclat du fond de son évêché qu’au faîte du pouvoir. Louis XV s’en aperçut. Il exprima son approbation devant les amis du cardinal. Ceux-ci se souvinrent que Bernis avait déjà été ministre ; Choiseul les comprit : il résolut d’éloigner son ancien protecteur, qui pouvait devenir un rival. Trop habile pour le déprécier, il s’arma contre lui de son mérite même, vanta au roi ses talens diplomatiques, et se plut à exhumer les souvenirs de son ambassade de Venise, si agréable à Benoît XIV. L’assentiment d’un tel pape recommandait fortement Bernis à la cour de Rome. Choiseul, pour l’engager à s’y rendre, lui promit la place du marquis d’Aubeterre, et Bernis promit à Choiseul de créer un pape dévoué à la France. Il arriva à Rome convaincu qu’il tiendrait parole. Son amour-propre lui disait que le choix du chef de l’église n’était réservé qu’à lui ; son collègue, le cardinal de Luynes, homme assez médiocre, devait à peine lui sembler un collaborateur. Bernis ne doutait donc pas du succès ; mais, quoiqu’au fond du cœur il regardât son entrée au conclave comme une prise de possession, il eut le bon goût de tempérer l’éclat d’un triomphe certain par un langage modeste. Loin d’affecter l’arrogance d’un dictateur, il redemanda à ses vieilles habitudes toutes les graces d’un homme de cour aimable et conciliant. Il se plut à les prodiguer. S’il laissa percer un peu sa supériorité, il ne l’étala jamais, et si sa prétention d’exercer une influence sans bornes ne fut pas un seul instant douteuse, du moins il eut le soin de l’indiquer avec tant de mesure, qu’elle pouvait être aperçue sans donner prise au reproche. « La France, disait-il à ses confrères, ne forme qu’un vœu, celui de voir élever sur le trône un prince sage, modéré, pénétré des égards dus aux grandes puissances. Le choix du sacré collége ne peut s’arrêter que sur la vertu, puisqu’elle brille dans chacun de ses membres ; mais la vertu ne suffit pas. Qui pourrait surpasser Clément XIII en religion, en pureté de doctrine ? Ses intentions étaient