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LA TURQUIE. — SMYRNE.

tremêlés de verdure, se courbait autour des flots comme une guirlande de fleurs. Dans la rade, aux flancs d’une douzaine de vaisseaux de guerre à l’ancre, brillaient, à cette heure d’exercice, les éclairs de coups de canon dont je n’entendais pas le bruit et dont la fumée s’élevait lentement, ainsi qu’une vapeur matinale, vers un ciel d’une pureté merveilleuse. Aucune description ne peut rendre le spectacle que j’avais sous les yeux, et surtout aucune parole humaine ne saurait donner une idée du calme presque effrayant de ce paysage d’Asie, de ce silence pesant où l’on n’entend que les battemens de son cœur et le sourd bruissement des herbes qui se tordent au soleil. On sent passer en soi, dans ces instans, le repos profond de tout ce qui vous entoure ; l’ame se recueille, le corps s’allanguit ; il semble que tout mouvement vous soit interdit par la nature elle-même, qui se complaît dans son immobilité. Un murmure étrange me tira de ma contemplation en me rappelant tout d’un coup le piano de Boudja. J’écoutai avec attention, et cette fois, dans les accords affaiblis qui arrivaient jusqu’à moi, je crus reconnaître les sons d’une guitare. Ayant marché lentement dans la direction que m’indiquait mon oreille, j’arrivai, après quelques centaines de pas, à une petite case presque entièrement cachée dans un pli du terrain, et de laquelle partaient en effet les sons d’une sorte de mandoline accompagnés d’un chant nazillard que je reconnus pour l’avoir entendu souvent dans l’Attique. Deux jeunes Grecques étaient assises devant la porte de cette hutte. J’attachai mon cheval à un piquet, et, m’avançant vers elles avec toute la politesse dont je fus capable, je leur demandai en mon meilleur italien la permission de me reposer un instant sous leur toit. Elles se levèrent en souriant, et, sans me répondre, me montrèrent du geste la porte de la cabane, où elles me précédèrent. Autour d’une chambre assez grande, quoique très basse, pauvre, mais proprement blanchie à la chaux, étaient assises une vingtaine de jeunes femmes, fort jolies la plupart, costumées selon la mode de l’Archipel, coiffées de leurs longs cheveux nattés en tresses et disposés autour de leur tête en manière de turban. À mon arrivée, elles se levèrent ; je répondis à leurs révérences par un salut collectif et m’assis sur une chaise que m’offrit la maîtresse de la maison. Aussitôt la danse recommença, car c’était à un bal diurne que j’allais assister. La chanteuse reprit d’un ton dolent un éternel récitatif, en s’accompagnant d’un instrument nouveau pour moi. C’était tout simplement un bâton long de deux pieds autour duquel trois cordes étaient tendues. On comprend quelle devait être l’harmonie de cet objet ; toutefois, me rappelant que j’étais