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sens, et grace à l’esprit si vif, si ardent, des Occidentaux, toutes traces de ces commotions seraient vite effacées. En Orient, au contraire, la population indolente, obéissant machinalement à l’impulsion qui la jette hors de sa voie, n’entre pas pour cela dans une voie nouvelle ; elle tombe au premier coup, et, s’endormant dans sa misère, elle souffre le mal sans chercher le remède.

En dehors de la décadence générale de l’empire dans laquelle elle entrait pour sa part, la ville de Smyrne avait encore d’autres échecs à subir. Une des principales causes de sa déchéance particulière, c’est la multiplication des relations établies depuis peu d’années entre l’Europe et Alexandrie. L’Égypte allait autrefois chercher dans l’Anatolie une quantité de produits que maintenant elle tire de l’Europe, et elle nous expédie directement les produits de l’Afrique et de l’Arabie, qui jadis, avant de nous parvenir, faisaient escale à Smyrne. En outre, comme le sol de l’Anatolie est extrêmement fertile, et que cette province produisait en plus grande quantité que les autres les objets récemment grevés d’impôts ou érigés en monopole, elle eut à souffrir des nouvelles lois plus que les autres parties de l’empire. Une seule branche de son commerce a pris de l’accroissement, c’est la vente des raisins et des fruits, qui figure au tableau des exportations pour une somme de 4 millions. La prospérité de cette vente tenta, en 1831, la cupidité du gouvernement, qui voulut déclarer monopole les fruits de l’Anatolie. Cette mesure devait porter une si cruelle atteinte aux intérêts des Smyrniotes, que les consuls européens intervinrent et firent abandonner cette malheureuse idée. Le résultat n’en était pas douteux, et le monopole devait détruire le commerce des fruits comme il avait anéanti celui de l’opium. Pendant quelque temps, la récolte de la vallonnée[1] a été de même abandonnée ; le gouverneur de Smyrne avait défendu aux paysans de vendre à toute personne qui ne serait pas pourvue d’un certificat signé de lui. Ces privilégiés forçaient les malheureux paysans à leur donner pour 7 piastres ce qu’ils vendaient 20 piastres auparavant. Le gouverneur Tahir-Bey partageait avec ses associés un bénéfice de 200 pour 100[2]. La vente du coton et de la garance a également subi un amoindrissement des deux tiers.

  1. Sorte de gland employé dans la tannerie.
  2. Le pacha d’Aïdin faisait mieux encore. C’était à coups de bâton que, dans sa province, on forçait les paysans à récolter la vallonnée, si bien que ceux-ci, pour se soustraire à cette tyrannie, ne virent d’autre moyen que de mettre le feu aux bois et de détruire les arbres qui autrefois avaient fait leur richesse.