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LA TURQUIE. — SMYRNE.

ductions de la terre avaient été déclarées monopoles ; les gouverneurs, avides représentans d’un gouvernement cupide, après avoir pressuré pour le compte de sa hautesse les populations qui leur étaient soumises, faisaient chaque jour, à leur profit, des razzias dans leurs provinces. « Pourquoi ensemencer nos terres, disaient les agriculteurs, puisque nous n’en retirerons aucun fruit ? Le gouvernement prendra nos grains au prix qu’il lui plaira de fixer, et si nous ne donnons pas des pots de vin à ses agens, on nous volera sur la mesure. — Il y a bien une loi qui autorise la libre vente des céréales, mais le gouverneur prétend qu’il n’en a pas connaissance. » Une souffrance générale se répandit dans tout l’empire, et la misère fut bientôt à son comble. On écrivit souvent alors que l’empire turc s’écroulait par la faute de ses habitans ; on avait tort. Il ne fallait pas attribuer à l’inaptitude, à la paresse, à l’ignorance des populations cet état d’appauvrissement. Le peuple était, comme on le voit, condamné à l’immobilité, et le gouvernement seul était coupable.

Dans un écrit remarquable publié par un de nos compatriotes bien placé pour connaître l’Orient[1], je trouve un fait qui, peu important en apparence, donne cependant une idée frappante, ce me semble, de la situation misérable des habitans des campagnes. « Jusqu’en 1827, on vendait annuellement à Smyrne huit cents tonneaux d’étain pour l’étamage des ustensiles de cuisine dont chaque famille de paysans était pourvue, et qui étaient alors, en Turquie, comme dans nos provinces, un objet de première nécessité à chaque ménagère… Aujourd’hui on ne vend plus que quatre-vingts tonneaux d’étain, et c’est en vain que dans toutes les campagnes on chercherait un seul vase de métal. Ils ont été vendus pour satisfaire aux exactions de toute nature qui ont épuisé ces malheureuses populations. » La publication du hatti-chériff a mis un terme à ces odieux abus, et l’abolition des monopoles, décrétée en 1838, a ranimé un peu le commerce et l’agriculture. Cependant le tableau du mouvement commercial de Smyrne, pour ne nous occuper que de cette ville, ajoute, en 1839, un million seulement au total de l’année 1834. Ce chiffre prouve mieux que toutes les dissertations que la Turquie est comme au premier jour abattue sous le coup qui l’a frappée ; qui peut dire si elle s’en relèvera jamais ? En Europe, de pareilles secousses n’auraient peut-être rien de fatal. Les intérêts, un instant déplacés, reprendraient leur cours dans un autre

  1. Statu quo d’Orient 1839.