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DE LA PHILOSOPHIE DU CLERGÉ.

vains du clergé à heurter de front les instincts les plus vivaces de notre temps et à prodiguer aux intelligences d’élite qui savent les comprendre et s’efforcent de les régler, les accusations les plus flétrissantes ?

J’accorde sans peine que la théorie du progrès n’est point de mise en pure et stricte théologie. Une religion n’existe en effet qu’à condition d’avoir un symbole de foi immuable. Quel catholique pourrait concevoir la folle pensée d’ajouter, de retrancher, de changer un seul article au symbole des apôtres ? Toucher au symbole, c’est toucher à Dieu ; modifier le symbole, c’est corriger Dieu. Le théologien par excellence, l’Ange de l’École, ce vaste et pénétrant génie, cet Aristote du xive siècle, capable de tout comprendre et de tout oser, mit sa gloire à n’être que l’exact et fidèle interprète de la doctrine chrétienne, expositor et definitor. Mais si la doctrine du progrès est, en un sens, inadmissible en théologie, est-ce une raison de la proscrire dans l’ordre des vérités philosophiques et sociales ? De ce qu’on croit que Dieu a révélé aux hommes un certain nombre de vérités essentielles, est-ce à dire qu’il ait condamné le genre humain à une absolue immobilité, et que, pour éclairer notre raison, il ait dû la pétrifier ?

Après s’être ainsi très gratuitement inscrit en faux contre la doctrine du progrès, on va plus loin. On ose accuser de panthéisme, c’est-à-dire d’athéisme, quiconque ose prétendre que la vérité et la justice ne se manifestent et ne s’établissent parmi les hommes qu’à l’aide du temps. Croirait-on qu’il n’en faut pas davantage à de graves écrivains[1] pour ranger parmi les panthéistes les esprits les plus sobres, les plus mesurés, les plus discrets en toute matière théologique, M. Jouffroy, par exemple ? Oui, M. Jouffroy est panthéiste pour avoir écrit des phrases comme celles-ci : « Ce n’est point de la vérité à l’erreur, et de l’erreur à la vérité, que voyage l’esprit humain, mais d’une vérité à une autre, ou, pour mieux dire, d’une face de la vérité à une autre face. » Cette pensée fût-elle fausse, je demande ce qu’elle a à démêler avec le panthéisme. Quelle est cette mystérieuse affinité qui unit le panthéisme et la théorie du progrès ? Si c’est être impie et panthéiste que d’admettre que la vérité, immobile en elle-même, n’apparaît dans l’homme que sous la condition du progrès et du temps, il y a un panthéiste et un athée que je dénonce à la vigilance de M. l’abbé Maret ; c’est celui qui a écrit cette parole : Veritas filia temporis, non auctoritatis[2].

  1. M. l’abbé Maret, Essai sur le Panthéisme, p. 27 et suiv., 47 et suiv.
  2. Saint Augustin.