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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

Satisfaites d’avoir infligé ce grand châtiment, les trois cours remplacèrent leur première vivacité par une froideur dédaigneuse. Leurs ministres déclarèrent qu’ils ne voulaient plus conserver aucune relation avec le cardinal Torrigiani, et s’opposèrent même à ce qu’il correspondît avec les nonces de France et d’Espagne[1].

En ce moment, les embarras du pape se multiplièrent. La république de Venise, le duc de Modène, l’électeur de Bavière, tentèrent aussi d’imiter l’exemple de l’infant de Parme. Le pape, lassé d’un long combat, feignit d’ignorer ce nouvel échec. Il n’avait plus d’espoir que dans la maison d’Autriche ; mais l’habile Marie-Thérèse, sans mêler son nom à la publicité de pareils débats, savait merveilleusement en tirer parti. Le prince de Kaunitz parut d’abord très irrité contre le pape, il annonça même hautement le projet de l’attaquer par un mémoire. Au fond, la cour de Vienne avait envie de s’emparer de la direction exclusive de cette affaire pour faire renaître sur les ruines des prétentions pontificales ce qu’elle appelait ses droits à la suzeraineté de Plaisance. Sitôt que les rois de France et d’Espagne se furent vivement interposés entre Clément XIII et l’infant, Kaunitz se refroidit beaucoup, joua l’indifférence et ne reparla plus de son mémoire. Tandis que l’impératrice-reine prêtait l’oreille aux plaintes du vieux pontife, qu’elle ne lui épargnait ni les attentions flatteuses, ni les messages consolans, le comte de Firmian, son ministre en Lombardie, forçait au silence le cardinal Pozzo-Bonelli, archevêque de Milan, et défendait sous les peines les plus graves l’usage de la bulle in cœna Domini. La voix de l’impératrice ne s’élevait point au milieu des cris de Rome et de Parme ; mais à Versailles, à l’Escurial comme au Vatican, ses agens diplomatiques distribuaient à tout le monde les assurances d’une sympathie générale.

Cependant Clément XIII refusait toujours de révoquer son bref. L’irritation des rois Bourbons devint extrême ; celle de leurs plénipotentiaires la surpassait encore. Il s’établit même entre eux une lutte, une émulation de violences contre la cour pontificale. On trouve avec quelque surprise, dans les dépêches du marquis d’Aubeterre, le conseil de bloquer et d’affamer Rome[2]. Cet ambassadeur propose froidement au duc de Choiseul de faire passer par mer une dizaine de bataillons français, de l’île de Corse à Orbitello et Castro, d’engager l’Espagne à imiter cet exemple en adjoignant à ces dix bataillons quatre ou cinq

  1. D’Aubeterre à Choiseul ; Rome, 23 novembre 1768.
  2. Dépêche du 30 novembre.