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mathématique immuable, en régla et en conserve l’admirable économie.

Voilà les droits que revendiquent la philosophie et la raison, et ce sont ces droits qu’on leur veut ravir quand on proclame la stérilité de la philosophie en matière de dogmes fondamentaux. En invoquant ce principe, qu’une intelligence finie ne peut connaître l’infini, M. l’archevêque de Paris a donc voulu dire, non-seulement que la philosophie est incapable de comprendre Dieu, ce qui est évident et accordé de tous, mais qu’elle est absolument incapable de connaître d’aucune façon sa nature, de se former aucune idée de ses attributs. En même temps, on accorde qu’elle peut prouver l’existence de Dieu. N’est-ce point là une inconséquence ou une dérision ? Quoi ! la raison prouve invinciblement qu’il est un Dieu, et elle est dans une absolue ignorance de sa nature ? Et comment, je vous prie, prouve-t-elle son existence ? N’est-ce point par l’idée de l’infini, de l’être parfait, toujours présente, bien que trop souvent éclipsée, au plus profond de la conscience humaine ? Vous soutenez donc que, lorsque ma raison me donne l’idée de l’être parfait, elle ne me parle pas de sa nature ! Qu’est-ce donc que la perfection absolue de l’être, sinon la nature même de Dieu ? Soutiendrez-vous que Fénelon, Leibnitz, Malebranche, n’avaient pas le droit de traiter, comme ils l’ont fait, de la divine Providence, par les lumières de la seule raison et sans jamais faire appel à l’autorité ? Le traité tout philosophique ou, si l’on veut prendre ce langage, tout rationaliste de Bossuet sur la prescience et le libre arbitre, les Essais de théodicée de Leibnitz, sont-ce là des scandales pour nos modernes théologiens ? Mais ils ne manqueront pas de dire que tous ces grands esprits étaient éclairés des lumières surnaturelles du christianisme ; je demanderai alors où était le christianisme quand Platon découvrait aux hommes le Dieu de la République et du Timée, source éternelle de la vérité et de l’être[1], invisible soleil des intelligences, beauté sans tache et sans souillure[2], exemplaire immuable de toute justice et de toute sainteté, architecte et providence de l’univers, père des hommes[3] ; ce Dieu qui a fait le monde par une effusion de sa bonté parfaite, et qui, voyant s’agiter sous sa main cette image vivante de ses perfections infinies, goûte une joie sublime et rentre dans son repos accoutumé. De quelle lumière surnaturelle était donc

  1. République, livre vi.
  2. Banquet, traduction de M. Cousin, p. 272.
  3. Timée, t. XII, p. 119 et 120.