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du roi d’Espagne, réservant son influence pour des occasions qu’il jugeait plus importantes. Il ordonna au marquis d’Aubeterre, ambassadeur à Rome, de se concerter avec l’archevêque de Valence, Azpurù, chargé d’affaires d’Espagne, et le cardinal Orsini, ministre de Naples. Leurs instructions reçues, tous les trois demandèrent une prompte audience au pape. Cet incident était dangereux pour les partisans des jésuites ; le vieux Rezzonico pouvait faiblir, il fallait le préparer à soutenir ce choc. Torrigiani et les cardinaux zelanti ne le perdirent pas un moment de vue jusqu’à l’instant décisif. Ils lui montraient dans une victorieuse résistance la gloire du martyre, souvent désiré par le pieux Clément XIII. Ils lui dirent que Benoît XIV avait abaissé la thiare devant les souverains, et que Dieu le prédestinait à la relever. Des moyens matériels vinrent encore à l’appui de ces excitations ; Rezzonico trouva dans ses appartemens plusieurs copies des fresques de Raphaël représentant saint Léon marchant à la rencontre d’Attila. En un mot, les jésuites n’oublièrent ni les discours ni les images ; ils dictèrent au pape déjà affaissé par l’âge les réponses les plus violentes. Clément se ressouvint parfaitement de leurs leçons dans les premières phrases de son entretien avec d’Aubeterre ; il daigna à peine jeter un regard sur le mémoire que lui présentait l’ambassadeur, et il lui déclara qu’il mourrait mille fois plutôt que de révoquer son décret ; qu’en reconnaissant la légitimité des droits de l’infant de Parme, il commettrait une grande faute envers Dieu ; qu’il contreviendrait à ce que lui dictait sa conscience dont il était seul juge, et dont il n’avait à rendre compte qu’au tribunal de Dieu. Mais cette fermeté ne put se soutenir long-temps. Lorsqu’en poursuivant sa lecture, le vieillard fut arrivé au mot de représailles, il se mit à trembler de tout son corps, une sueur froide couvrit ses joues, et il s’écria d’une voix entrecoupée : « Le vicaire de Jésus-Christ est traité comme le dernier des hommes ! Il n’a sans doute ni armées ni canons ; il est facile de lui prendre tout, mais il est hors du pouvoir des hommes de le faire agir contre sa conscience. » Cette protestation s’acheva au milieu d’un torrent de larmes.

La ville cependant ne partageait point la sécurité des conseillers du pape. Loin de là, elle était remplie de crainte sur l’issue de ce conflit. Rome blâma le saint-père, elle l’accusa d’avoir imprudemment rejeté la médiation des grandes puissances, moyen honorable qui aurait sauvé l’amour-propre de Clément XIII. Les terreurs des Romains ne tardèrent pas à se réaliser. Ils apprirent que les Français s’étaient emparés d’Avignon, les Napolitains de Bénévent et de Pontecorvo.