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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

le roi ; il représenta toutes les conséquences de l’entreprise du pape, flétrit éloquemment cette résurrection des projets de Grégoire VII et de Sixte V. Louis XV montrait plus de chagrin que d’indignation. Élevé par les molinistes, il craignait Rome ; il ne voulait pas se brouiller avec elle ; il était flottant, irrésolu, et d’une faiblesse qui excluait tout sentiment, hors l’orgueil. Nous l’avons vu : jamais prince ne se crut plus que lui du sang des dieux. Choiseul l’attaqua par là ; d’une main sûre, il toucha cette corde : il montra un Rezzonico, le fils d’un marchand de Venise, insultant un petit-fils de saint Louis. Les raisons politiques n’étaient rien auprès d’un pareil tableau ; cependant le ministre ne crut pas devoir les négliger. Si le pape avait quelques démêlés à régler avec l’infant, n’était-il pas de son devoir de s’adresser à la cour de France ? Après une pareille injure, Louis XIV aurait fait venir le cardinal Torrigiani pour demander pardon au milieu de la galerie de Versailles ; son successeur emploiera des moyens plus doux, mais non moins efficaces. Il sommera Clément XIII de révoquer son monitoire, et si, après un délai de huit jours, le pape répond par un refus, les ambassadeurs des deux rois quitteront Rome, les nonces seront renvoyés de Versailles et d’Aranjuez[1]. C’est ainsi que Choiseul faisait parler l’honneur national ; le parlement de Paris lui prêta son appui accoutumé, en supprimant le nouveau bref.

Charles III n’était ni moins ardent ni moins pressé que Choiseul. Tous deux se hâtèrent de se consulter. Leurs courriers se croisèrent en route. À peine le roi d’Espagne eut-il reçu les nouvelles de Parme, qu’il se déclara personnellement offensé. Il réunit son conseil extraordinaire, composé de laïcs d’un caractère grave et de plusieurs évêques. Comme le ministre français, il opina au rappel des ambassadeurs accrédités près du saint-siége. Le comte d’Aranda s’opposa à cette mesure ; il prouva que le départ des plénipotentiaires étrangers mettrait le pape trop à l’aise ; leur présence était d’ailleurs indispensable dans le cas d’un conclave, et, en attendant cet événement que la santé et l’âge du pape rendaient très prochain, eux seuls pouvaient exiger le rapport du monitoire, et, si le saint-père résistait encore, le menacer de l’occupation d’Avignon par les troupes françaises, de Bénévent et Castro par celles du roi de Naples. Choiseul adopta le plan du ministère espagnol[2]. En matière ecclésiastique, il déférait toujours à l’avis

  1. Lettres du duc de Choiseul à MM. d’Ossun et Grimaldi. — Lettres de Grimaldi au comte de Fuentes.
  2. Consultation du conseil extraordinaire d’Espagne au sujet du bref du pape contre l’infant duc de Parme, rédigée par Moniño. Madrid, 21 février 1768.