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À ce droit proportionnel aux recettes des théâtres doivent être ajoutés la vente du manuscrit et le contingent de la province. Ainsi, on peut sans exagération estimer à plus de 60,000 francs pour l’auteur le produit de l’École des Vieillards, pièce qui eut à l’origine le rare avantage de réunir Talma et Mlle Mars. Les Templiers, Sylla, les Enfans d’Édouard, ont rapporté certainement plus de 40,000 francs. La plupart des autres pièces que nous avons mentionnées ont dû atteindre le chiffre de 30,000 francs.

Certes, la récompense est magnifique, et il semblerait qu’une vive émulation dût exister entre les auteurs pour produire de ces beaux et nobles ouvrages, qui donnent la fortune en même temps que la gloire. Toutefois, dans l’industrie littéraire, comme dans toutes les autres, il est plus commode de travailler pour le vulgaire que pour un public d’élite. Si les triomphes à la scène française sont glorieux et productifs, ils sont rares et difficiles. Partout ailleurs le succès, nous voulons dire ce genre de succès qui conduit à la considération, n’est pas même nécessaire pour faire fortune. Il suffit de pouvoir semer chaque année le long des boulevards dix à douze actes de mélodrame ou de vaudeville. Avec un roman qu’on découpe, une actualité qu’on exploite, un début d’acteur qu’on fait valoir, avec une moitié dans une pièce, un quart dans une autre, avec les douze pour cent de Paris et la menue monnaie récoltée en province, avec le produit des billets qu’on vend plus ou moins cher, selon la pluie ou le beau temps[1], on parvient à arrondir fort honnêtement son revenu. Un écrivain, dont l’ingénieuse fécondité constitue un mérite vraiment exceptionnel, a gagné, dit-on, en certaines années, plus de 140,000 fr. On conçoit encore qu’une dizaine d’hommes distingués, dont chacun de nos lecteurs indiquerait les noms, obtiennent de 40 à 50,000 fr. ; mais au-dessous de cette aristocratie, dans une obscurité favorable aux talens médiocres, il se trouve un assez bon nombre d’ouvriers en dialogue qui recueillent chaque année au-delà du traitement alloué à d’éminentes fonctions. Joindre au nom de ces poètes le chiffre de ce qu’ils gagnent, cela ressemblerait à une épigramme.

Une branche de revenu très féconde pour les auteurs attachés aux petits théâtres, c’est le trafic qu’ils font aujourd’hui sur les billets. Autrefois, les billets accordés aux auteurs étaient en petit nombre et

  1. Les variations atmosphériques ont une grande influence sur les recettes. Un jour de beau temps est un jour néfaste. Les étés froids et pluvieux, qui semblent attrister toute une population, sont, dans le monde dramatique, les années de bonne récolte.