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timent sincère qu’elle avait donné jusqu’alors au traité du 8 septembre. Les intrigues redoublèrent lorsque le consul-missionnaire Pritchard eut abordé à Taïti à bord de la Vindictive. Des prédications furibondes s’efforcèrent d’appeler les indigènes aux armes, et le commodore Nicholas engagea avec les autorités françaises une correspondance déjà connue par les documens britanniques. Ce fut dans ces circonstances et sous ces inspirations que la reine accepta ce pavillon que l’amiral Dupetit-Thouars trouva flottant sur la demeure de Pomaré, lorsqu’au 1er  novembre il aborda Taïti à la tête d’une force militaire considérable pour y porter la ratification du roi au traité du protectorat. On connaît sa résolution et la suite qu’a cru devoir lui donner le cabinet. Puissent de nouvelles lumières sortir du débat auquel la chambre paraît disposée à se livrer !

M. le ministre des affaires étrangères fait annoncer, comme une éclatante victoire remportée sur l’obstination du divan, la promesse adressée aux représentans de la France et de l’Angleterre à Constantinople de ne plus exécuter à mort les renégats qui reviendront à la foi de leurs pères. Nous ne méconnaissons point l’importance de cette concession, quoiqu’elle reste sans garantie ; mais, que le cabinet nous permette de le lui dire, ce n’est pas là l’intérêt le plus sérieux qui appelle en Orient l’intervention spéciale de la France. Ces meurtres juridiques étaient fort rares ; ils soulevaient dans toute l’Europe chrétienne une indignation qu’il est difficile, même à la barbarie musulmane, de braver impunément. Des crimes et des atrocités bien autrement graves ensanglantent le Liban. L’anarchie la plus furieuse décime ces populations, dont le glorieux patronage échappe ou à notre indifférence ou à notre faiblesse. On assure qu’en apprenant la résolution de les soumettre au gouvernement d’un caïmacan druze, les Maronites ont fait éclater le plus violent désespoir, et manifesté l’intention de se soustraire, fût-ce par la mort, à une oppression odieuse. On affirme de plus que des démarches sont déjà tentées près de la cour de Vienne pour réclamer officiellement une protection qui jusqu’à ce jour était l’attribut exclusif de notre gouvernement. Le droit qu’elle tenait de ses pères, la France l’a malheureusement abandonné, elle a consenti à n’intervenir désormais que collectivement dans une œuvre que le sang des croisades avait baptisé de son nom. Si la France abdique aux dépens de sa gloire, au moins ne faut-il pas qu’elle abdique aux dépens de l’humanité. Le moment n’est pas éloigné où cette affaire deviendra sérieuse, et il est bien temps qu’on y songe.


V. de Mars.