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LE SALON.

croissante de produits de pacotille qui encombrent les étalages des marchands et les salles de vente publique. Les conséquences de ce régime industriel pour l’avenir de l’art sont faciles à prévoir. L’exemple de l’Angleterre pourrait au besoin en donner une idée, et il n’est que trop certain que nous faisons en France beaucoup de progrès dans cette voie de perdition. L’institution du salon, qui semblerait devoir maintenir l’art dans la haute sphère d’idées et de sentimens désintéressés dont il ne peut descendre sans se rapetisser et mourir, risque de devenir, par l’usage irréfléchi qu’on en fait et par les abus de son administration, l’instrument le plus actif de cette corruption et de cette décadence. En fait, il est notoirement envahi déjà par ce misérable art de boutique, et on y respire en certains endroits une sorte d’air mercantile nauséabond. Ce noble et splendide palais du Louvre, qui ne doit s’ouvrir qu’à la gloire, serait-il donc destiné à n’être à la longue qu’un entrepôt, un marché central du commerce des tableaux ? Le salon est, avant tout, un musée où l’art national vient, à certains jours choisis, se produire, comme sur un théâtre, et recevoir des applaudissemens en échange et pour prix de ses nobles services. C’est en vue de ce but élevé que le premier salon public, ouvert par la convention nationale, fut nommé un concours, et que plus tard on créa, pour consacrer cette pensée, la grande et belle institution du prix décennal. Il est encore un concours aujourd’hui, même au sens matériel, car chaque année des récompenses et des honneurs sont distribués, au nom du chef de l’état, aux artistes qui se sont distingués. L’exposition perdra-t-elle ce caractère pour devenir, par la désertion des talens supérieurs et par l’envahissement de l’industrialisme artistique, une sorte de foire périodique pour les objets d’art, analogue à celle de Leipzig pour les livres ? C’est ce que l’expérience de quelques années nous fera voir ; mais on peut assurer qu’elle tend déjà à cette fâcheuse transformation. Des causes générales d’une puissance irrésistible poussent à ce résultat. Les préservatifs auxquels on pourrait songer n’auraient probablement qu’une influence indirecte et peu marquée ; sans compter que, s’il est facile d’en imaginer et d’en indiquer plusieurs, il serait impossible d’obtenir qu’on en essayât un seul.

C’est à toutes ces circonstances réunies qu’il faut attribuer la triste physionomie du salon et l’impression générale qu’on en a reçue. Il ne faudrait pas pourtant trop accorder à cette première impression. À la longue, l’œil s’habitue au monotone concert des tons blafards, terreux et rougeâtres répandus sur la plupart de ces toiles ; les