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lord Byron, au contraire, nous avons un jaillissement incessant de fantaisies abondantes et pressées, — un jet perpétuel d’images fraîches écloses qui semblent naître de l’explosion soudaine des émotions qui débordent en lui, et donnent à son style, parfois abrupte et irrégulier, une force et un charme qui réalisent souvent tout ce que l’on dit de l’inspiration. » Mais il lui reprochait la désolante uniformité de ses conceptions mystérieuses : ce sont toujours les mêmes sentimens, disait Jeffrey de la poésie de Byron, et ses portraits, avec quelques modifications légères dans la draperie et dans l’attitude, sont tous copiés du même modèle. C’est toujours la même teinte voluptueuse à la surface, et au cœur la même plaie de misanthropie ; Byron ne peut reproduire les changemens d’une vie variée, ou se transporter dans la condition des caractères infinis dans leur diversité qui doivent peupler la poésie comme le monde. L’intense énergie de ses sentimens, la superbe hauteur de sa nature ou de son génie, l’empêchent de descendre à cette identification. Il se complaît à peindre une exaltation maladive, une sorte de sublimité démoniaque, empreinte des traits de l’archange déchu. Il est presque toujours préoccupé de l’image d’un être dévoré par de violentes passions, déchiré par le souvenir des catastrophes qu’elles ont causées, et, bien que s’étant consumé à les assouvir, impuissant à soutenir le fardeau d’une existence qu’elles cesseraient d’animer ; plein d’orgueil, altéré de vengeance et endurci, méprisant la vie et la mort, et l’humanité et lui-même, et foulant aux pieds dans ses dédains non-seulement les formalités menteuses de la société polie, mais ses vertus domestiques et ses affections esclaves ; néanmoins, abaissant par moment un regard d’envie sur ces créatures qu’il méprise, et fondant pour ainsi dire en douceur et en compassion lorsque l’enfance sans appui et la femme frêle et fragile font appel à sa générosité. Il est impossible, ajoutait M. Jeffrey, de mieux représenter ce caractère que ne l’a fait lord Byron, ou plutôt d’en présenter dont les colères soient plus terribles et les attendrissemens plus attrayans ; mais il y a en lui un trop sombre mélange de crime et de tristesse pour que le spectateur ne se lasse de le voir occuper toutes les scènes du drame et tous les drames de l’auteur. C’est une belle chose sans doute de contempler parfois les mers tempétueuses et les montagnes ébranlées par le tonnerre, mais on préférerait passer ses jours dans les vallées abritées, au murmure des eaux plus calmes. Enfin M. Jeffrey accusait la portée immorale de ces créations où le génie épuise ses ressources à donner au coupable le prestige de l’héroïsme, à associer en lui les plus sublimes vertus à