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des formes, il y prend souvent une signification plus haute. Selon l’acception religieuse, il exprime le don divin. L’action de graces encore, c’est l’élan reconnaissant du cœur vers le bienfaiteur éternel ; faire grace, c’est pardonner. Et toutes ces notions se retrouvent dans l’idée que nous concevons de la femme ; elle est sur la terre l’esprit de mansuétude et de pardon, elle est la prière qui s’élève au ciel, elle est l’inspiration qui en descend. Son intelligence, moins apte que celle de l’homme au travail de la pensée, est plus ouverte aux vérités intuitives : si elle est moins capable d’application aux affaires publiques et de cette domination sur la matière qui fait l’industrie et tout un côté de l’art, elle plane avec plus de liberté dans ces régions du sentiment où l’on entend d’ineffables échos des harmonies divines, et elle en rapporte dans son sourire, dans son regard et dans son langage, je ne sais quelle vertu apaisante et conciliatrice sans laquelle l’homme succomberait tôt ou tard, accablé sous le fardeau de la science et du travail.

Un nom cependant vient ici sur toutes les bouches, et ce nom paraît être la réfutation victorieuse de ce que nous venons de dire. Une femme, qui semble encore présente au milieu de nous, tant sa mémoire y est honorée, Mme de Staël, ne s’est pas bornée à l’étude des mystères du cœur. Elle a osé aborder les grands problèmes de la politique moderne ; elle a écrit, sur les évènemens, sur leurs causes et leurs conséquences, des pages d’une haute raison que nul ne lira jamais sans respect. Champion ardent de la liberté, elle l’a défendue sous le plus fascinateur des despotismes. Elle a lutté de tout son pouvoir pour ramener l’opinion incertaine aux grandeurs de la révolution française, et son talent n’a point failli à son courage, et son esprit ne s’est point égaré ; il a été s’éclaircissant, s’affermissant de plus en plus dans la sagesse. Mais, outre qu’il nous serait trop facile de conclure de cette exception glorieuse pour la vérité de nos assertions, qui ne voit, au premier coup d’œil, que le principe vital du talent de Mme de Staël, c’est le sentiment, c’est le cœur ? Ce n’est point assurément le futile amour-propre de se montrer homme dans ses opinions et sa vie qui l’entraîne hors de la voie commune. L’amour filial lui met la plume à la main, les exemples de la maison paternelle l’excitent et la soutiennent. La fille de M. Necker ne pouvait rester étrangère à la politique sans une insensibilité coupable, et cette première inspiration du cœur, ces premières impressions d’une enfance enthousiaste, développées par les plus salutaires influences, lui tracent le cercle où nulle autre peut-être après elle ne sera aussi naturellement introduite. Quel