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ÉCRIVAINS MODERNES DE L’ALLEMAGNE.

Quand l’aigle-héros ne prend pas son vol au plus haut des airs, c’est parce que l’atmosphère est trop lourde, c’est parce que des nuages opaques répandent des vapeurs méphitiques et paralysent sa force. Il est nécessaire qu’un grand sentiment de personnalité et des sentimens libéraux dans les masses se rencontrent. Comment démontrer à une ame d’esclave que la liberté est en elle ?… Qu’il ne soit donc plus question de calomnier Napoléon, car nous portons la moitié de sa faute dans notre propre cœur. Il y a un juge au-dessus de lui moins sévère que nous, c’est sa propre conscience. Celle-là a un baume qu’elle répand sur chaque blessure, sur les rêves et les espoirs déçus de cet homme qui a terrassé les monstres de la révolution (les monstres de la révolution ! ô Bettina, que sont devenus vos instincts démagogiques et vos rêves de liberté absolue ?) ; mais aussi il voit plus clairement que personne combien son égoïsme et son ambition ont été peu raffinés, car un esprit plus grand que le sien lui aurait fait choisir un idéal supérieur à ce bonheur où sa grandeur morale a échoué et où sa grandeur politique échouera encore. Combien il se fût montré redoutable à toute l’Europe par d’austères vertus républicaines ! avec quelle puissance morale il se montrerait à nous, et quelle riche moisson nous aurions vu mûrir en France, s’il avait semé de sa main ces vertus grandies en lui ! »

Toute une moitié du second volume, sans qu’on sache trop pourquoi ni comment, est consacrée au détail circonstancié de quelques misères particulières. Ce sont des noms de pauvres, leur adresse, le nombre de leurs enfans, le triste relevé de leur dépense journalière : un registre de bureau de bienfaisance ; et l’auteur ne propose d’autre moyen, pour guérir ces maux profonds d’une civilisation corrompue, que le remède, à coup sûr fort hasardé, de la liberté illimitée. Malheureusement cette liberté, dont elle nous donne un spécimen littéraire dans son livre, où rien ne s’enchaîne, rien ne se déduit, rien ne s’explique, n’est pas faite, ainsi entrevue, pour tenter beaucoup les esprits amoureux de beauté morale.

Quant à nous en particulier, confessons-le, il ne nous est resté qu’une impression pénible du livre socialiste de Mme d’Arnim. Autant nous avions été charmé, séduit, entraîné par la poésie lyrique et le caprice tout individuel de sa correspondance avec Mlle de Günderode, autant ce caprice s’attaquant aux idées qui décident du sort des peuples et cette poésie dégénérée en fièvre de métaphores[1] nous ont

  1. Bettina dit quelque part, en personnifiant le soleil couchant : Il se retire si doucement, que l’on n’entend pas le bruit de ses semelles à l’horizon.