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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

de sa famille fut enfermé dans la ménagerie de Belem, restée vide depuis le tremblement de terre.

Qu’était-il donc arrivé dans cet intervalle ? pourquoi ces violences et ces tortures ? qu’imputait le ministre à toute cette noblesse ? Voici les faits. Doña Teresa, femme du jeune marquis de Tavora, était la maîtresse du roi. En allant la voir la nuit, Joseph avait été atteint dans sa voiture de deux coups de pistolet. Blessé au bras, il s’était enfermé dans son palais, attendant l’arrestation des accusés ; ces accusés étaient le duc d’Aveïro et le mari de la maîtresse du roi, regardés comme instrumens du crime, les vieux Tavora, désignés comme complices, et les jésuites, qui passaient pour instigateurs. De tous les membres de la famille incriminée, doña Teresa fut seule traitée avec indulgence ; on ne sait pas encore si la découverte de la conspiration n’a pas été son ouvrage. Louis XV témoigna à son chargé d’affaires la plus grande curiosité sur le sort de cette jeune femme[1].

Pombal ne songea point à soumettre les grands à la juridiction de leurs pairs ; peut-être l’état actuel de la noblesse rendait-il impossible le maintien de ce privilége ; le ministre ne les déféra pas non plus aux tribunaux ordinaires ; les accusés furent cités devant un tribunal d’exception dit de l’inconfidence, c’est-à-dire devant une commission. L’exécution suivit de près la sentence ; dans la nuit du 12 au 13 janvier 1759, un échafaud de dix-huit pieds de haut avait été élevé sur la place de Belem en face du Tage. Dès le point du jour, cette place était encombrée de troupes, de peuple, et le fleuve même était chargé de spectateurs. Les domestiques du duc d’Aveïro parurent les premiers sur l’échafaud, et furent attachés à l’un des angles pour être brûlés vifs. La marquise de Tavora arriva ensuite la corde au cou, le crucifix à la main ; quelques vêtemens déchirés l’enveloppaient à peine, mais tout en elle était empreint de force et de dignité. Le bourreau, voulant lui lier les pieds, souleva un peu le bas de sa robe. « Arrête, lui dit-elle, n’oublie pas qui je suis, ne me touche que pour me tuer. » Le bourreau s’agenouilla devant doña Éléonor et lui demanda pardon. Elle tira une bague de son doigt et lui dit : « Tiens, je n’ai que cela au monde ; prends, et fais ton devoir ; » puis la courageuse femme se mit sur le billot et reçut le coup de la mort. Son mari, ses fils, dont le plus jeune n’avait pas vingt ans, son gendre et plusieurs serviteurs périrent après elle dans d’affreux tourmens. Le duc d’Aveïro fut amené le der-

  1. Dépêches du duc de Choiseul à M. de Saint-Julien, chargé d’affaires de France à Lisbonne.