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pagne obligée, la suivante fidèle de l’annonce ; elle parle dans les colonnes des journaux d’une voix si assourdissante, qu’il devient à peu près impossible de s’y livrer désormais à une critique sérieuse et loyale. La presse quotidienne expirera en France entre les puffs de la réclame et les gravelures du feuilleton.

La solution la plus naturelle consisterait à dégager la pensée de l’industrie, l’entreprise intellectuelle de l’œuvre commerciale, en d’autres termes à affranchir la rédaction et à imposer les annonces. On comprend fort bien que cette pensée ne soit pas acceptée sans résistance par ceux qui ont contribué plus que tous autres à préparer à la presse périodique la déplorable situation qui pèse aujourd’hui sur elle. Quoi qu’il en soit, ce principe serait le plus rationnel et le plus moral. C’est au gouvernement et aux chambres qu’il appartient de le comprendre et de l’appliquer. On sait qu’en Angleterre un droit fixe est perçu sur les innombrables annonces qui encombrent les feuilles publiques. C’est là une perception naturelle et légitime, car elle porte sur une spéculation commerciale, et n’atteint pas la pensée dans ce qu’elle devrait avoir d’inviolable. Nous verrions avec satisfaction le pouvoir entrer dans cette voie de bon sens et de justice.

Sous peu de jours, la crise qui a si soudainement agité l’Angleterre aura eu son dénouement. Le déplacement de la majorité, provoqué par la proposition de lord Ashley, a causé en Europe une sensation d’autant plus vive, que rien n’est plus contraire qu’une telle péripétie aux traditions parlementaires de la Grande-Bretagne. La discipline des partis ne comporte pas dans ce pays ces actes d’indépendance et d’entraînement dont nos assemblées politiques sont coutumières. Quoique persuadés de la victoire définitive de sir James Graham dans la nouvelle lutte si résolument provoquée par lui, nous ne pouvons nous empêcher de voir dans les deux échecs infligés au cabinet sur la clause des douze heures de travail, et dans la scission persévérante de son propre parti, un symptôme éclatant de l’affaiblissement de l’administration de sir Robert Peel. Il est des libertés qu’on ne prend qu’avec les pouvoirs affaiblis, et celle que vient de se donner une portion fort notable du parti tory est évidemment de ce nombre. Le succès de lord Ashley est le contre-coup des échecs du cabinet en Irlande, du procès O’Connell et du triomphe récent du libérateur au sein de la vieille Angleterre. C’est une protestation contre les progrès de la ligue des céréales, dont il est impossible de se dissimuler désormais la haute importance politique. Les tories, profondément aigris par le cours des évènemens, comprennent que leurs concessions ont été inutiles, et se vengent sur sir Robert Peel de la modération qu’il a su leur imposer. La haute église, de son côté, se voit de plus en plus menacée par le puyséisme et les sympathies populaires, qui inclinent vers l’Irlande ; dans une telle disposition d’esprit, elle aime à faire preuve de charité, ne fût-ce que par vengeance.

Jamais peut-être débat parlementaire ne projeta un jour plus douloureux