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REVUE MUSICALE.

du joli duo entre Marco Tempesta et sa sœur, au second acte. Que de finesse et de séduction mélodieuse dans ce motif dialogué ! Il y avait au second acte de Lestocq un petit duo de ce genre, qui, dès les premières mesures, éveillait dans la salle ce frémissement de plaisir, avant-coureur ordinaire des applaudissemens. Pourtant la phrase de Lestocq, plus coquette peut-être, n’avait pas cette douce émotion qui vous charme tant ici, et je n’hésiterais point, s’il me fallait opter entre ces deux bijoux, à me décider pour celui qui brille dans la Sirène. Où M. Auber va-t-il donc puiser tant de merveilles ? Quelle est cette mine orientale qui, de la Bergère Châtelaine et d’Emma à la Part du Diable et à la Sirène, lui fournit incessamment de nouveaux trésors. J’ai toujours eu du goût pour la musique de M. Auber, j’ai toujours beaucoup aimé cette vive imagination qui sait se dépenser avec simplicité, avec grace, et rester modeste à une époque où le premier barbouilleur de symphonies se croit en droit de prendre des airs de Beethoven et de réglementer en législateur du Parnasse un art dont il ignore les plus simples lois ; mais j’avoue que, depuis que M. Auber est directeur du Conservatoire, ma sympathie pour lui tient de l’admiration. En effet, continuer à n’être qu’amusant, lorsqu’on pourrait, à si peu de frais, être sublime, composer des opéras comiques lorsqu’on pourrait n’écrire que des messes, divertir son époque à force de talent, de jeunesse et de verve, lorsque rien ne vous empêcherait de l’assommer de contrepoint et de science, c’est là, ou je me trompe fort, un paradoxe des plus aimables, le paradoxe d’un homme d’esprit par excellence, et M. Auber l’est même en dehors de sa musique.

Nous voudrions cependant bien trouver enfin à l’Opéra quelque succès à constater : personne plus que nous ne souhaiterait d’avoir à louer une bonne fois quelque ouvrage, ballet ou partition, capable de rendre ce malheureux théâtre à ses glorieuses destinées ; pourtant que faire en présence de ce qui se passe ? Est-ce notre faute si l’administration persiste à s’engager de plus en plus dans une voie funeste, et si le caprice de Mme Stoltz semble être désormais l’unique loi dont on s’inspire ? L’illustre virtuose de la rue Lepelletier aurait pourtant de quoi se montrer moins exigeante en ses fantasques ambitions. Dieu merci, on lui a fait la part assez large. Depuis quatre ans, combien de rôles écrits pour elle ! Nous l’avons vue en reine de Chypre, en favorite du roi d’Espagne, en sultane, en villageoise animée du souffle prophétique et jouant à la Jeanne d’Arc ; tant de richesses ne suffisaient pas, un rôle de garçon manquait à son répertoire, il fallait à l’impérieuse prima donna un travestissement fait à sa jolie taille. À tout prendre, elle avait bien eu déjà l’Ascanio du Benvenuto Cellini de M. Berlioz ; mais comment songer à exhumer de la poussière cette singulière partition, si outrageusement conspuée aux jours anciens ? Mieux valait encore inventer du nouveau, d’autant plus qu’on pouvait s’en tirer à peu de frais, ainsi que les auteurs du Lazzarone semblent avoir pris à tâche de nous le démontrer. Raconter dans ses détails ce proverbe en action, franchement