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sieurs mauvaises récoltes portèrent le prix du blé, durant les années 1838, 1839, 1840 et 1841, à une moyenne de 66 sh.d. le quarter, et pendant que cette augmentation de 50 pour 100 dans la valeur de son principal aliment imposait de grandes privations à l’ouvrier, le taux des salaires diminuait de 20 à 25 pour 100. Joignez à cela que, la nécessité de solder en or les achats de blé faits dans les ports du continent ayant épuisé les réserves de la banque, les directeurs, cédant à la panique générale, contractèrent brusquement la circulation, et frappèrent ainsi le commerce et l’industrie. Tous les établissemens qui n’avaient pas une grande solidité tombèrent alors comme des châteaux de cartes ; ce fut une immense catastrophe, dont les traces sont encore visibles aujourd’hui.

Au mois de juillet 1843, lorsque je visitai le comté de Lancastre, l’industrie se relevait lentement de ses ruines. Quelques villes cependant, plus éloignées du mouvement ou qui avaient souffert plus que les autres, n’avaient pas repris leur activité. Bolton et Stockport en particulier présentaient l’image de la plus complète désolation. Les maisons étaient fermées, les cheminées des manufactures ne fumaient plus, les rues étaient désertes ; on n’entendait ni paroles ni bruit ; on aurait cru être dans cette ville enchantée des Mille et une Nuits, dont un génie malfaisant avait changé les habitans en pierres. L’enchanteur ici, c’était la misère ; des documens authentiques déposent de l’étendue de ces souffrances, que l’imagination se refuse à embrasser. À Bolton, dans une ville de 50,000 ames, 50 manufactures[1] employaient ordinairement 8,124 ouvriers ; en 1842, 30 de ces établissemens étaient fermés ou ne travaillaient que quatre jours par semaine : 5,061 ouvriers se voyaient ainsi privés de leurs moyens de subsistance en totalité ou en partie. Sur 2,110 ouvriers en fer ou mécaniciens, 785 avaient été congédiés ; les 1,325 qui restaient, des ouvriers surchargés en 1836 au point de produire dans une semaine l’équivalent de neuf à douze journées, étaient réduits à quatre ou cinq jours de travail. Les autres métiers avaient subi la même réduction. En somme, si l’on joint à la diminution des salaires l’augmentation du prix des alimens, on trouve que la perte des classes laborieuses était de 320,560 livres sterling par année, ou de 1,000 livres sterling (25,000 francs) par jour de travail. La charité publique est impuissante en présence de telles calamités.

En décembre 1841, la société formée à Bolton pour la protection des

  1. Statistics of the depression of trade at Bolton.