Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
REVUE DES DEUX MONDES.

que de le punir. Les amendes, dont on frappe les femmes ou les enfans, partent d’un mauvais système, et cette retenue exercée sur les salaires aigrit le plus souvent sans corriger. »

Les deux filatures des frères Ashworth peuvent occuper cinq cents ouvriers des deux sexes, et font vivre mille personnes, hommes, femmes ou enfans. Ce sont des édifices comparativement récens et dans le site le plus romantique. La manufacture de Turton est cachée dans un pli du vallon, entre deux collines boisées, dont la maison de M. Henri Ashworth, d’un côté, et de l’autre les chaumières des ouvriers, couronnent les sommets. La manufacture d’Egerton, remarquable par une immense roue hydraulique de soixante pieds de diamètre, dont je n’ai vu la pareille qu’à Wesserling, occupe le fond d’une vallée plus ouverte, et les maisons des ouvriers, comme pour donner la bien-venue aux visiteurs, sont rangées des deux côtés de la route. Je préfère, pour mon compte, les chaumières de Turton à cause du petit jardin qui s’y trouve joint, et dans lequel on peut cultiver des arbustes ou des fleurs. L’un et l’autre village sont construits du reste sur le même plan. Rien de plus commode que ces habitations, dont l’aménagement intérieur invite à l’ordre et à la propreté. Un fourneau en fonte, qui sert à cuire le pain aussi bien que les alimens, est fixé au foyer de chaque cuisine ; l’office est assez vaste pour recevoir toute sorte d’approvisionnemens ; l’étage supérieur renferme souvent quatre chambres. Mais ici l’intention bienveillante du propriétaire a devancé de trop loin les habitudes de ses ouvriers. Les gens du peuple n’ont pas le sentiment de la pudeur assez développé pour séparer les enfans des deux sexes pendant la nuit. Il n’y a jamais que deux chambres occupées, et c’est déjà beaucoup que les parens sentent la nécessité d’étendre un rideau ou de mettre une cloison entre eux et leurs enfans.

À Turton et à Egerton comme à Hyde, l’on n’emploie dans la filature que les femmes qui ne sont pas mariées. Pour former un intérieur à leurs ouvriers, MM. Ashworth distribuent quelques travaux à domicile, et occupent les femmes qui restent chez elles à dévider ou à réparer ; cela aide sans être lucratif. Néanmoins un ménage n’atteint à l’aisance que lorsqu’il peut associer les enfans au travail. Il y a plaisir à voir le bon ordre de ces intérieurs avec leurs armoires remplies de linge et de vêtemens de rechange, avec leurs meubles polis, leur vaisselle luisante, avec des livres partout, des livres de piété ou d’histoire, tels que la Bible et la traduction du Mémorial de Sainte-Hélène, des journaux hebdomadaires et particulièrement l’anti-bread tax circular. Le loyer de chaque maison ne revient pas à plus de 200 à 250 francs