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MANCHESTER.

a pas donné le dernier mot, c’est d’une part qu’en prenant soin d’améliorer la condition de ses ouvriers, il n’a pas cependant établi entre eux et lui une communauté d’intérêts ; c’est d’autre part qu’il lui a manqué, pour agir plus fortement sur les esprits, ce principe d’autorité qu’aucun homme et qu’aucune classe d’hommes ne représente de nos jours.

Dans les établissemens dirigés par les frères Ashton et par les frères Ashworth, la sollicitude du maître pour l’ouvrier ne descend pas aux mêmes détails, elle est plus extérieure et ne suit guère la population hors de l’atelier ; mais chacune de ces communautés industrielles a une physionomie qui lui est propre et qui demande à être mise en relief.

La petite ville de Hyde n’était au commencement du siècle qu’un hameau de huit cents ames, planté sur une colline argileuse, dont le sol ne nourrissait pas ses habitans. Les frères Ashton ont peuplé et enrichi ce désert. Dix mille personnes sont aujourd’hui établies autour de leurs cinq filatures, où le salaire quotidien s’élève à 25,000 fr. par jour (7,500,000 francs par an). Le chef de cette famille, le seigneur du lieu, M. Thomas Ashton, s’est construit une charmante villa au milieu des arbres et des fleurs ; de l’autre côté de la route, on aperçoit ses deux manufactures situées entre un torrent qui fournit l’eau pour les machines à vapeur, et deux mines de charbon qui en alimentent les foyers. M. T. Ashton emploie 1,500 ouvriers des deux sexes ; une salle immense, chargée de métiers à tisser, en réunit 400. Les jeunes filles sont bien vêtues et décentes ; un uniforme de travail, espèce de tablier qui descend des épaules jusqu’aux pieds, protége, comme à Belper et comme à Turton, la propreté de leurs vêtemens ; la santé des hommes ne paraît pas mauvaise, mais je n’ai vu nulle part ces formes robustes ni cette fraîcheur que le docteur Ure paraît avoir remarquées huit ans plus tôt.

Les maisons habitées par les ouvriers forment de longues et larges rues. M. Ashton en a bâti 300 qu’il loue à raison de 3 shillings ou de 3 1/2 shillings par semaine (200 à 225 francs par an). Chaque maison renferme au rez-de-chaussée un parloir ou salon, une cuisine et une arrière-cour ; au premier étage, deux ou trois chambres à coucher. Sur le prix du loyer, le propriétaire prend à sa charge l’approvisionnement d’eau, les frais de réparation et les impôts locaux. Une tonne de charbon ne coûtant que 8 à 9 shillings, le chauffage est presque gratuit. À toute heure du jour, on trouve dans chaque maison de l’eau chaude et le feu allumé. Partout règne une propreté qui annonce l’ordre et l’aisance. L’ameublement, quoique très simple, atteste