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travaux d’appropriation, à bâtir, à rétablir les réservoirs et le moteur, à construire la charpente, à monter les machines, à poser les conduits pour le gaz, et à rassembler le nombre nécessaire d’ouvriers. Dans cette recherche, nous jetâmes nos vues sur les familles que nous connaissions pour honnêtes ou qui passaient pour telles, et qui nous donnaient l’espoir, si nous leur procurions une certaine aisance, de rester auprès de nous et de s’attacher à l’établissement. Il s’agissait de les amener à trouver et à se créer un foyer domestique (home), de leur faire perdre graduellement ces habitudes remuantes et vagabondes qui caractérisent la population manufacturière, et qui forment le plus grand de tous les obstacles à l’amélioration de son sort. Dans cette pensée, et afin de leur donner une occupation innocente aux heures de loisir, nous fîmes l’acquisition de trois champs situés entre les chaumières et la manufacture, et nous les divisâmes par des haies d’épine de manière à attacher un jardin à chaque maison.

« Au printemps de 1834, les constructions étant à peu près terminées et une population nombreuse établie sur les lieux, je jugeai qu’il était temps d’instituer une école du dimanche pour nos enfans. Je fis d’abord part de mes vues aux plus âgés ; ceux-ci les ayant accueillies et ayant offert leurs services, je convoquai une réunion générale des ouvriers. Le règlement fut arrêté, le comité formé, les maîtres désignés, et l’école s’ouvrit le dimanche suivant dans une cave, les enfans qui se présentaient étant en plus grand nombre que nous n’en pouvions recevoir.... La classe des filles renferme aujourd’hui 160 enfans, et celle des garçons 120. Chaque classe est sous la direction d’un surintendant et d’un certain nombre de maîtres qui remplissent gratuitement ces fonctions, se relevant de deux dimanches l’un. Les maîtres sont des hommes et de jeunes femmes attachés à la manufacture. Le surintendant, le trésorier et le secrétaire sont élus tous les ans par les maîtres assemblés, et le comité est désigné aussi par la voie de l’élection. Le surintendant de l’école des filles, qui dirige cet enseignement, est lui-même un apprêteur et travaille, durant la semaine, avec autant de zèle et d’humilité que le plus humble de ses compagnons ; mais lorsque le travail de la semaine est terminé et que se lève le soleil du dimanche, qui rend l’ouvrier libre comme le maître, le digne homme se couvre du long manteau noir, qui est le signe distinctif de sa fonction, prend sa canne et son chapeau à larges bords, et, métamorphosé ainsi en ministre méthodiste, il devient l’ami, le pasteur de ses voisins, l’homme le plus important et le plus honoré de notre petite société.

« Dans l’automne de la même année, nous ouvrîmes nos classes de dessin et de musique. La classe de dessin se fait tous les samedis soirs en hiver, de six heures à sept heures et demie ; la moitié du temps se passe à dessiner, l’autre moitié s’emploie en leçons d’histoire naturelle et de géographie. Je la dirige moi-même ; elle se compose de 25 jeunes garçons, dont quelques-uns ont fait de grands progrès. Dans la semaine, ils s’occupent le soir chez eux à copier des dessins que nous leur prêtons ; cela remplit leurs heures de