France, à chaque nouvelle guerre, faisait ainsi un héroïque effort pour tenir son rang sur les mers, et à un moment donné ces vaisseaux, construits, armés à si grands frais, ces intrépides équipages, rassemblés avec tant de peine, subissaient la loi du nombre et tombaient au pouvoir de l’ennemi, quand la mer ne les dévorait pas. Qu’on ouvre l’histoire, et l’on verra cette fatalité peser sur notre marine et frapper d’impuissance ses plus nobles efforts. En revanche, les engagemens de détail, les luttes partielles, lui étaient presque tous favorables. On eût dit qu’isolés, nos vaisseaux avaient plus de valeur que les vaisseaux anglais, tandis que ceux-ci retrouvaient leur supériorité quand ils opéraient en masse. Aussi, en tête de la liste de nos marins et des plus glorieux, faut-il placer des noms que la course a rendus célèbres, ceux des Jean-Bart, des Duguay-Trouin, des Surcouf. N’est-ce pas là un indice précieux et n’en découle-t-il pas que nous devons diriger notre effort vers autre chose que les grandes rencontres ?
Il est vrai que, pour affaiblir cette considération du nombre, on s’est livré depuis quelque temps à des évaluations arbitraires de nos ressources et de nos forces. Le chiffre de nos vaisseaux, celui de notre personnel maritime, semble grossir chaque jour au gré de calculs complaisans. Naguère on élevait à 40,000 hommes au plus le total des matelots valides que l’état pourrait emprunter à l’inscription navale. Les statistiques officielles n’allaient pas au-delà, toujours dans la limite d’un bon service. Aujourd’hui ce nombre grandit à vue d’œil et obéit aux fluctuations de la polémique. Pour les uns, c’est 45,000 matelots, pour les autres 50,000 ; il en est même qui ne se contentent pas de termes aussi modérés, et vont successivement de 50 à 60, 70 et jusqu’à 80,000 matelots. Nos forces s’accroissent ainsi sur le papier d’une manière démesurée, et la conséquence naturelle de cette progression est de nous ramener à un sentiment de sécurité et d’inertie. Prenons-y garde ; ce serait un sommeil fatal : qu’il provînt de la vanité ou de l’erreur, l’effet n’en serait pas moins triste. Une vérité qu’il faut savoir dire à tout le monde, et sur laquelle l’auteur de la Note a eu raison d’insister, c’est que, dans l’organisation existante, toute lutte que nous engagerions avec l’Angleterre serait inégale et par conséquent funeste. Il vaut mieux se montrer plus sobre de jactance, et préparer avec plus de soin les élémens du succès. Dans l’état, et en prenant pour base la proportion du nombre, nos chances vis-à-vis de l’Angleterre sont comme 1 est à 3. Pour rétablir les distances, il n’y a que deux moyens : notre bravoure avec les conditions actuelles, ou bien une combinaison meilleure de nos forces à l’aide de la vapeur. C’est ce dernier parti que conseille l’auteur de la Note.
On insiste et l’on dit : Sans doute la France ne peut pas engager seule la lutte ; mais au premier coup de canon les marines secondaires feraient cause commune avec elle. C’est là un espoir qui ne manque pas de fondement, et nous le partageons si bien, que nous écrivions en 1841 : « La France représente en Europe un grand principe, celui de la liberté des mers. On la sait courageuse, on la sait désintéressée : elle ne fait pas acheter son concours, elle n’exploite pas ses alliances. Les marines secondaires n’attendent qu’un