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élégante maison de Rosendal. C’était là surtout qu’il aimait à réunir à sa table un cercle d’hommes choisis, à recevoir les étrangers et à s’entretenir pendant la soirée avec eux des questions qui devaient le plus les intéresser.

Ses réceptions particulières avaient un grand charme. Charles-Jean y apportait une touchante affabilité, et une sorte d’abandon, très réfléchi peut-être, mais en apparence du moins plein de cordialité. Il se plaisait à causer, et il causait avec une vivacité toute méridionale. Le recueil de ses bulletins, de ses lettres, de ses proclamations, prouve qu’il possédait à un haut degré l’art de rendre habilement sa pensée. Il y a là une éloquence de soldat et d’homme d’état moins concise, moins entraînante que celle de Napoléon, mais souvent très vigoureuse et souvent grandiose. Cette même éloquence se reproduisait dans ses entretiens, et éclatait parfois en images pompeuses. De temps à autre, il s’arrêtait dans son discours, et, fixant sur son auditeur un regard pénétrant, il lui disait avec son accent gascon : M’entendez-vous ? Puis, satisfait du silence qu’il avait imposé, il commençait une nouvelle harangue qui avait tout le caractère d’une ardente improvisation, et poursuivait ainsi le développement de sa pensée. C’était avec les Français surtout qu’il usait de toutes ses coquetteries de manières et de langage. C’était devant eux qu’il aimait à dérouler la longue chaîne de ses souvenirs, à raconter les magnifiques guerres de la république et les glorieuses années du consulat. Plus prudent que tous ces souverains de l’empire qui entraînaient dans le royaume dont ils allaient prendre possession des officiers, des courtisans auxquels ils faisaient, au détriment de leurs nouveaux sujets, une trop grande part d’honneurs et d’emplois, Charles-Jean n’avait voulu conserver à sa cour aucun Français, mais il recevait avec empressement tous ceux de nos compatriotes qui demandaient à lui être présentés, et de tous ceux qui, dans l’espace de trente années, ont été admis près de lui, il n’en est pas un assurément qui n’ait eu à se louer de sa bienveillance, et beaucoup d’entre eux ont reçu de précieuses marques de sa générosité.

Ses grandes réceptions offraient un coup d’œil pittoresque et intéressant. Charles-Jean en avait considérablement modifié la vieille étiquette. On ne pouvait encore se présenter à ses bals, à ses soirées, qu’en uniforme ; mais une épée d’emprunt au côté, un léger galon appliqué sur la couture du pantalon, suffisaient pour satisfaire le regard des chambellans gardiens du cérémonial. Des femmes d’une douce et mélancolique beauté, d’une élégance toute parisienne,