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POÈTES ET ROMANCIERS CONTEMPORAINS.

contée par Mme Sand avec la verve entraînante de ses meilleurs jours. On fut généralement d’accord pour préférer l’Uscoque à Spiridion. Cette préférence choqua vivement l’auteur des deux ouvrages, qui la considéra comme une preuve du mauvais goût des lecteurs ; à ses yeux, l’Uscoque était la pire chose qu’il eût faite, Spiridion la meilleure. Nouvelle preuve de la prédilection touchante des écrivains pour leurs enfans malheureux.

Si le début de Spiridion a le mérite d’éveiller la curiosité, le milieu et la fin ont le tort de ne pas la satisfaire. L’auteur, en commençant, a un sincère et vif désir de s’ouvrir pour lui-même et pour ses lecteurs des régions nouvelles, il aspire à des choses extraordinaires et grandes ; mais le résultat ne répond pas à l’effort. Ni Angel, ni Alexis, ni Fulgence, ni Spiridion ne nous font entrer dans ce monde inconnu où nous devions voir la vérité face à face. C’est en pure perte qu’à la place du fameux manuscrit qui devait nous dévoiler les mystères de l’éternité, nous en trouvons trois. Le premier est l’Évangile selon l’apôtre saint Jean, chose assez connue ; le second est l’Introduction à l’Évangile éternel ; il était écrit, nous dit Mme Sand, de la propre main de l’auteur, le célèbre Jean de Parme. Cependant cet évangile éternel a été successivement attribué à un autre Jean, un des généraux des frères mineurs, puis à Amaury, enfin à des disciples d’Amaury. Mme Sand eût été moins prompte à faire exclusivement honneur de l’évangile éternel à Jean de Parme, si elle se fût souvenue que, sur l’intervention expresse du cardinal Ottobon, toute poursuite contre ce religieux fut arrêtée, et qu’il vécut fort tranquille pendant trente ans dans le couvent de Grecchia près de Rieti. Quoi qu’il en soit, qu’annonçait cet évangile éternel, qui était au XIIIe siècle le livre favori des joachimites, et qui fut condamné par le concile d’Arles en 1260 ? Il annonçait, comme s’en plaignit expressément l’archevêque d’Arles, que pendant la religion mosaïque c’était Dieu le père qui avait régné, que le règne du fils, de Jésus-Christ, venu avec le christianisme avait duré douze cent soixante ans, et devait faire place au règne du Saint-Esprit prédit par saint Jean. Ainsi le christianisme finissait, et le véritable règne de la grace et de la vérité allait commencer. Telle est l’hérésie du XIIIe siècle, que plusieurs ont cherché depuis long-temps à accommoder aux besoins du XIXe. Mme Sand vient un peu tard. Enfin nous ouvrons le troisième manuscrit qui doit être, suivant la conjecture d’Alexis, la clé des deux autres. Ce dernier manuscrit est l’œuvre même de l’abbé Spiridion ; cette fois sans doute nous allons apprendre quelque chose de nouveau. Vaine espérance ! Il est vrai que Jésus-Christ lui-même apparut à Spiridion, qui raconte