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deux reprises différentes l’équilibre de l’Europe. Au IXe siècle, les pirates suédois, unis à ceux de Danemark et de Norvège, les hordes farouches de Vikings descendant des côtes de la Baltique, arrivaient avec leurs barques légères jusque sur les rives de la Seine, pillant, brûlant, saccageant tout ce qu’ils rencontraient sur leur passage. Les moines, à leur approche, ajoutaient un nouveau verset aux litanies du cloître[1], et Charlemagne, dit-on, pleurait en les voyant venir. Au XVIIe siècle, les Suédois, sous la conduite de leur valeureux Gustave-Adolphe, traversaient en conquérans le Brandebourg, la Silésie, les électorats de Trêves, de Mayence, les bords du Rhin, et brisaient la puissance de l’Autriche. Au XIXe siècle, à quelques lieues de ce champ de bataille de Lutzen, où le roi de Suède remportait en mourant ses plus beaux trophées, un successeur de ce grand roi renversait, dispersait la plus fière, la plus glorieuse des armées.

A la première époque que nous venons de rappeler, on apaisait l’ardeur sauvage des corsaires du Nord par des tributs volontaires, par des présens. A la seconde, Richelieu, malgré son titre de ministre d’un roi catholique, sa dignité de prince de l’église romaine, ne craignait pas de s’allier au chef de l’armée protestante, pour faire fléchir la tête de l’Autriche et assurer les intérêts politiques de la France. A la troisième, tout devait nous garantir l’alliance, le secours, le dévouement de la Suède. Napoléon ne l’a point voulu ; ce fut une de ses grandes fautes, une faute qu’il a rudement expiée. Ce fut pour Bernadotte un profond malheur d’avoir à défendre sa couronne en prenant les armes contre la France. Toute sa vie, si honorable d’ailleurs, est voilée là d’un nuage sombre ; ce nuage, nous ne voulons, ni ne pouvons l’effacer. Il nous a paru juste seulement de démontrer que Charles-Jean n’avait point conspiré de gaité de cœur contre sa patrie, qu’il avait été peu à peu conduit, par des circonstances impérieuses, à la plus triste des résolutions, et qu’enfin, se voyant dans l’impossibilité de satisfaire à la fois à ses devoirs envers la France et à ses devoirs envers la Suède, il s’était cru forcé de sacrifier les premiers pour accomplir les seconds. Ajoutons à ce fait que Charles-Jean protesta sans cesse contre toute idée d’invasion en France. Dès la conférence de Trachenberg, lorsque les deux souverains coalisés avec lesquels il contractait un pacte solennel poursuivaient dans leur entretien toutes les chances possibles de la campagne qu’on allait commencer, il établit, en cas de succès, un programme bien différent de celui qui a été mis à exécution en 1814. Il déclarait qu’il fallait se

  1. A furore Normannorum libera nos, Domine.