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Malheureusement il disait vrai.

Quelques jours après, on reçut à Stockholm la nouvelle de l’entrée des Français à Moscou. Nul fait aussi grave et en apparence aussi décisif n’avait encore signalé la campagne de 1812. Tous les esprits étaient dans l’attente. Les partisans de l’alliance russe se demandaient avec inquiétude quel parti la Suède allait prendre. Les partisans de l’alliance française (il y en avait encore un assez grand nombre dans le pays) espéraient voir un revirement subit de politique. Les ministres étrangers se présentèrent le soir au palais du roi dans une grande perplexité. Charles-Jean comprit que c’était un de ces momens solennels qui exigent une prompte décision. Il s’approcha de l’envoyé de Russie et lui dit : « Je déplore le sort de Moscou, mais je félicite l’empereur Alexandre ; Napoléon est perdu. Un courrier, parti il y a deux heures, porte au ministre de Suède, le comte de Löwenhielm, les ordres du roi pour resserrer encore les liens qui nous unissent à l’empereur. Oui, monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers le ministre d’Autriche, Napoléon est dans la seconde capitale de l’empire russe, et il est perdu. Vous pourrez annoncer à votre cour que tel est mon avis sur cet événement. »

La retraite de Moscou, la déroute effroyable de l’armée française, réalisèrent les conjectures du prince royal de Suède, et donnèrent à l’Angleterre, à la Russie, à la Prusse, un élan tout nouveau. Dans l’espace de quelques mois, les conditions de la guerre étaient bien changées. Les longues plaines d’Allemagne, naguère asservies au pouvoir de Napoléon, devenaient de nouveaux champs de bataille, et les armées confédérées reprenaient l’offensive. Au mois de mai 1813, Charles-Jean débarqua à Stralsund, investi du titre de généralissime de la division du Nord et entraînant à sa suite l’armée la plus nombreuse que la Suède eût jamais envoyée au-delà des mers. Ce fut lui qui traça tout le plan de la campagne. Le général Moreau, arrivé inopinément des États-Unis pour s’associer à cette croisade contre Napoléon, critiquait plusieurs des points essentiels de cette stratégie ; Charles-Jean, après l’avoir patiemment écouté, persista dans sa résolution. A la conférence de Trachenberg (10 juillet), il sut triompher de l’hésitation de l’empereur Alexandre et du roi de Prusse, et les rallia au projet qu’il avait conçu. En les quittant, il leur disait : « Au revoir, à bientôt ; notre rendez-vous est à Leipzig. » Nous ne savons que trop quel fut ce rendez-vous.

Il a été dans les destinées de ce petit pays de Suède d’exercer trois fois, par son audace, une vive action sur la France, et de rompre à