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même, cet apôtre de la pensée philanthropique, a ses momens de doute. En présence de l’activité renaissante des manufactures, tout le monde craint de porter la cognée dans le tronc de cet arbre, qui est, suivant lord Ashley, la racine du mal, et, suivant le ministère, la racine du bien. Rien ne prouve mieux cet embarras universel que le spectacle de la chambre des communes, qui n’avait pas réuni plus de 369 membres dans les premiers votes, et où ceux qui se sont abstenus représentent près de la moitié de l’assemblée.

Les propriétaires fonciers sont en majorité dans le parlement britannique ; ils ont tenu un moment le sort des manufactures dans leurs mains. Si l’amendement de lord Ashley ne devient pas la loi de la grande industrie en Angleterre, c’est assurément parce qu’ils ne l’ont pas voulu ; et s’ils ne l’ont pas voulu, c’est, indépendamment de la raison politique, parce qu’ils ont compris la solidarité étroite qui lie les unes aux autres les diverses aristocraties. Toute restriction apportée à la durée du travail aurait diminué les profits des manufacturiers, et la détresse des manufactures aurait rendu inévitable l’abolition des droits qui frappent l’importation des grains étrangers. Ils se sont donc refusé le plaisir de la vengeance, de peur, comme dit le Times, d’avoir à payer leur écot.

Quel eût été l’effet immédiat d’une loi qui, en limitant le travail des femmes dans les manufactures à dix heures par jour, aurait arrêté ainsi, avant le terme ordinaire de leur course, les forces de la vapeur et le mouvement de l’industrie ? Les hommes les plus compétens arrivent, sur ce point, aux conclusions les plus opposées. M. Senior[1] suppose que, si l’on réduit d’une heure la durée du travail, le bénéfice disparaît ; il y a perte, si la diminution est de deux heures. Pour rétablir l’équilibre, il faudra élever les prix de 16 pour 100, et s’interdire par conséquent les marchés du dehors. M. Horner[2], prenant une autre base de calcul, admet que telle manufacture perdra, les salaires restant les mêmes, 850 livres sterling dans l’année par le retranchement de la première heure, et, si l’on retranche deux heures, 1,530 livres sterling ; que si le manufacturier, comme il est probable, fait supporter la perte à ses ouvriers, ceux-ci verront diminuer leur salaire de 13 pour 100 dans le cas de la réduction de la journée à onze heures, et, dans le cas de la réduction à dix heures, de 25 pour 100.

Tous ces calculs me paraissent forcés. Avant l’acte de 1831, les

  1. Letters on Factory act, 1836.
  2. Sir J. Graham’s Speech, 15 march 1844.