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journée de travail est si longue, que le cœur des mères se fend, dit un commissaire, rien que d’y penser. Ils ne prennent jamais d’exercice en plein air, et la nature du travail produit une distorsion presque universelle de l’épine dorsale. Les maladies les plus communes sont les scrofules, les indigestions et les maladies des yeux ; les femmes se plaignent d’enfanter avec peine, et les avortemens sont très communs.

Dans les ateliers d’impression sur étoffes, le travail ne dure pas ordinairement plus de douze heures par jour, y compris une heure et demie pour le repas ; mais peu d’industries ont moins de régularité : souvent, pour remplir une commande, l’atelier va nuit et jour pendant quelques semaines, employant deux relais d’ouvriers, l’un pour le jour et l’autre pour la nuit. Dans ce cas, il faut souvent que l’ouvrier imprimeur réveille par quelque correction manuelle son tireur, qui ne peut plus se tenir sur ses jambes, et qui, en roulant par terre, s’endort. Il y a des exemples d’enfans qui, ayant commencé leur travail à six heures du matin, ont dû continuer sans interruption jusqu’au lendemain à dix heures. Dans ces occasions, on leur fait prendre du tabac pour les tenir éveillés, ou bien on les envoie de temps en temps plonger leur tête dans un baquet d’eau. Dans ces ateliers, où l’on pousse l’excès du travail aussi loin que possible, on admet partout les plus petits enfans.

Parmi les jeunes ouvriers qu’emploient ces diverses industries, la moitié à peine suivent une école quotidienne ou une école du dimanche. Dans quelques districts, examen fait des enfans, il s’est trouvé que les deux tiers ne savaient pas lire ; ceux qui lisaient couramment lisaient sans comprendre. La moralité des enfans qu’on abandonnait à cette sauvage ignorance était au niveau de leur éducation.

Je viens d’exposer succinctement l’état de choses constaté par les commissaires du gouvernement dans cette laborieuse odyssée. L’impression produite par leurs rapports fut tellement universelle et tellement profonde, que les doctrines reçues en matière de travail, que la religion économique du pays se trouva bientôt ébranlée. Entre les manufacturiers, qui tenaient que les transactions qui ont le travail pour objet doivent être librement débattues, et les ouvriers, qui sollicitaient le pouvoir législatif, sinon d’en fixer le prix, d’en régler tout au moins la durée, l’opinion publique fit un choix inattendu ; elle parut se détacher des données incomplètes, il est vrai, de la science, pour suivre un penchant aveugle d’humanité. On avait commencé par protéger les enfans et les adolescens, on en vint à penser que les femmes avaient les mêmes droits à la protection de la loi. Il ne resta plus désormais qu’un