Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1054

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans, un apprenti boit, fume, jure et tient le langage le plus obscène. Dans cette classe d’ouvriers, le concubinage est la règle, les naissances illégitimes sont tellement communes, qu’on ne les remarque plus. Les vols, les rixes, les soulèvemens tiennent les districts houillers dans un état perpétuel d’agitation.

Dans les mines de cuivre, de plomb et de zinc, l’immoralité des ouvriers est moins grande, mais leurs forces déclinent plus rapidement, et les organes de la respiration sont attaqués de maladies qui amènent une incapacité absolue de travail, quand elles n’abrègent pas la vie. Parmi les causes qui provoquent cet épuisement prématuré, il faut compter d’abord l’ardeur que les enfans apportent au travail. Il est d’usage que les adolescens forment une société en participation avec les ouvriers adultes, et l’espoir du gain les excite à faire des efforts, au-dessus de leur âge et de leur vigueur. Bien que ces jeunes gens travaillent avec empressement et pendant quelque temps sans que la fatigue laisse de traces, l’expérience prouve, disent les commissaires, qu’ils ont bientôt dépensé le capital de leur constitution. Ainsi, partout l’association des enfans et des adolescens avec les adultes est fatale aux plus jeunes ouvriers. Tantôt elle les surexcite, et tantôt elle les opprime. Dans l’un et l’autre cas, les victimes succombent sous le faix.

Les fabriques, usines et ateliers non soumis à l’acte de 1833 sont aujourd’hui ce qu’étaient, avant cette époque, les manufactures sur lesquelles s’étend la juridiction de la loi. L’abus s’est déplacé, on ne l’a ni détruit ni même restreint. Dans les ateliers, qui se trouvent en dehors de la tutelle légale, les enfans sont reçus quelquefois à l’âge de trois ou quatre ans, et souvent à l’âge de cinq ou six ans ; régulièrement le travail commence pour eux entre sept et huit ans. Il est des fabriques où le nombre des enfans de sept à treize excède celui des adolescens de 13 à 18. Parmi les enfans, l’on compte fréquemment plus de filles que de garçons ; dans certains ateliers, les femmes et les jeunes filles sont seules employées. Généralement les enfans, au lieu d’avoir affaire au chef de l’atelier, qui les traiterait avec plus d’humanité, dépendent de quelque ouvrier brutal et avide, qui les nourrit mal, les couvre de haillons, et fait profit de leur travail ; cette espèce de servage dure souvent depuis l’âge de sept ans jusqu’à vingt-un. Quelquefois les parens empruntent de l’argent au maître, en stipulant qu’il se remboursera de cette avance sur le salaire de l’apprenti ; c’est une vente dans les règles, le père livre sa chair et son sang, comme cela se pratique dans la traite des nègres, pour quelques bouteilles d’eau-de-vie ou pour quelques livres de tabac.