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enfans dans les manufactures quatorze, quinze et même seize heures de travail par jour. C’était le plus horrible esclavage que l’on eût encore infligé à l’espèce humaine.

« Toutefois, avant la seconde lecture du bill, les manufacturiers organisèrent une vive opposition, et ces hommes, qui n’ont jamais compris leurs véritables intérêts, amenèrent sir Robert Peel à leur accorder une enquête parlementaire, une enquête pour examiner si l’esclavage était juste, bon et avantageux à la nation ! Le comité fut nommé, il siégea durant trois sessions, et jamais on ne dénatura davantage les faits. A l’exception des membres de la chambre que j’avais enrôlés, je fus le seul avocat de ces pauvres enfans. On arracha concessions sur concessions à sir Robert Peel, jusqu’à ce que le projet eût perdu sa forme primitive. L’âge de l’admission dans les manufactures fut réduit à neuf ans, et la durée du travail étendue d’abord à onze heures, ensuite à douze heures par jour. »


Tel fut, en effet, le caractère de la loi de 1819, loi certainement illusoire, mais qui posa du moins le principe de la protection due par l’état à ceux qui ne disposent pas de leur propre sort, tout en respectant la liberté des transactions entre le maître et l’ouvrier homme fait. En 1825, et après de nouveaux efforts dirigés par sir J.-C. Hobhouse dans la chambre des communes, l’acte de 1819 fut confirmé, mais on imposa aux fabricans quelques précautions de bon ordre et de salubrité. En 1831, et afin de réprimer d’autres abus, le parlement défendit d’employer les enfans aux travaux de nuit ; mais un grand nombre de manufacturiers, secondés par la connivence coupable des parens, éludèrent les prescriptions de 1825 comme celles de 1831 ; il en résulta une véritable inégalité de situation entre ceux qui observaient la loi et ceux qui ne craignaient pas de l’enfreindre, et les enfans continuèrent d’être opprimés dans ce conflit.

A cette époque, les ouvriers, pour la première fois, prirent en main leur propre cause et voulurent être entendus. Des comités se formèrent dans les principales villes, à Manchester, à Leeds, à Glasgow. La question déjà bien assez grave du travail des enfans s’absorba dans la question plus générale, mais infiniment moins pratique, du travail des adultes ; les ouvriers prétendirent faire régler par le parlement la durée de la journée dans les manufactures, comme à une autre époque ils avaient demandé que le salaire fût réglé par la loi. Ce qu’ils voulaient, c’était un acte qui limitât la journée à dix heures, et les réunions de leurs délégués s’intitulaient comités du temps court (short time committees). Un homme plus humain et plus persévérant qu’éclairé, M. Jh. Sadler, porta ces prétentions devant le parlement, qui ordonna