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Rubens ! ô Titien ! où prenez-vous les grotesques couleurs dont vous affublez les héros de votre mascarade ?

Sérieusement, le pire tort de l’ouvrage de M. le duc de Doudeauville n’est point de manquer de toute espèce de conditions littéraires, d’être écrit sans style, sans esprit et sans goût ; il y a là encore un scandale public, et c’est à ce point de vue seul que nous avons cru devoir nous en occuper. En effet, le peu de bruit qui se fait autour de ces volumes vient d’un sentiment de réprobation universellement répandu. Peut-être l’auteur des Esquisses verra-t-il là son succès : nous en savons plus d’un, même parmi les illustres, qui n’en demanderait pas davantage ; mais, en conscience, sied-il bien à un La Rochefoucauld de briguer de semblables triomphes et de venir lutter de commérage avec les plus inconvenantes publications de notre temps ? Il y a tel mauvais livre qu’un homme de goût peut écrire sans abdiquer, il en est d’autres qui ne se font pas. Qu’un gazetier invente chaque matin, pour le succès de son entreprise, toute sorte de sottises et d’extravagances sur le compte des uns et des autres, qu’un pauvre diable aux abois raconte aux badauds de la ville que la marquise de N. met du rouge et que la princesse de L. a des vapeurs, somme toute le mal n’est pas bien grand ; on en est quitte pour se dire : Ces gens-là ne sont pas reçus, donc ils mentent, ou pour leur reprocher d’avoir écouté aux portes, s’il leur arrive par hasard de toucher juste. Cependant, je le demande, que deviendra-t-on si des La Rochefoucauld s’en mêlent, s’il faut se défier d’un oncle ou d’un cousin ? Noblesse oblige, prétendez-vous : oui, sans doute, mais à se taire, à garder le silence sur ce qu’on voit, à plus forte raison sur ce qu’on n’a jamais vu et qui n’est pas.

Nous le répétons, il y avait en pareil cas un moyen bien simple d’éviter le blâme, c’était de se tenir dans la généralité, et, sans chercher à désigner celui-ci ou celle-là autrement que par leurs ridicules ou leurs travers, d’inscrire des noms de fantaisie en tête de ses chapitres. Le XVIIe siècle offre en ce genre un vocabulaire parfait, où M. le duc de Doudeauville n’avait qu’à puiser. Qui l’empêchait par exemple de nommer ses femmes Arsinoé, Uranie, Araminthe ou Céphise, ses hommes Oronte, Alcidamas ou Polydore ? De la sorte du moins le noble écrivain pouvait concilier à merveille ses manies littéraires avec la bienséance, et, dans la disgrâce de l’auteur malheureux l’homme du monde n’eût pas été compris. L’Impromptu de Versailles, cette adorable comédie de Molière, dans laquelle se trouve exposée en maint endroit la poétique du grand maître, contient à ce sujet plus d’un excellent passage que je recommande aux méditations de M. de La