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les lecteurs de cette Revue à ce que j’y ai dit sur ce sujet[1]. À ces remarques, je joindrai quelques-unes des réflexions qui naissaient dans mon esprit pendant les longues et douces heures que je passais presque chaque jour, un poète grec à la main, parmi les débris de l’Acropole, à l’ombre des colonnes du Parthénon.

Un des caractères de la poésie grecque, c’est de se mettre admirablement en harmonie avec la nature, sans se subordonner à elle ; c’est de ne se servir du paysage que comme d’un fond sur lequel se dessine le sentiment et la pensée. Couché sous le péristyle du Parthénon, je regardais à travers les colonnes les montagnes, les îles, la mer et le ciel, et admirant combien cet encadrement ajoutait à leur beauté, je me disais : Ainsi, dans la poésie grecque, c’est pour ainsi dire à travers les interstices de l’art qu’on aperçoit la nature.

Un dernier rapprochement entre la poésie des Grecs et leur architecture. On a reconnu que les colonnes du temple de Thésée n’étaient pas verticales, mais un peu inclinées. Tout récemment, en mesurant avec soin le Parthénon, on s’est assuré que des lignes qu’on croyait horizontales étaient des courbes très légèrement fléchies. N’y a-t-il point chez les Grecs, dans l’expression poétique, quelque chose de semblable à cette pente ou à cette courbure à peine sensible qui paraît être la ligne droite, la ligne géométrique, et qui ne l’est point ? On croyait copier l’architecture grecque, et l’on s’étonnait de n’en jamais reproduire l’effet ; c’est qu’on ne tenait pas compte de la courbe imperceptible du Parthénon. De même on croit traduire les anciens, on croit avoir exprimé leur pensée tout entière, et on s’étonne de n’en pas reproduire l’effet merveilleux : c’est qu’on remplace par la ligne droite la ligne idéale qui périt sous l’équerre de la traduction.

Il est à peu près impossible de comprendre à fond l’art dramatique des Grecs sans avoir vu ce qui subsiste de leurs théâtres. D’abord on est disposé à croire que la voix devait se perdre dans une enceinte sans toit[2] ; mais quand on a essayé de lire des vers sur la scène, presque entièrement conservée, de Taormine, ou en se plaçant au sommet des nombreux gradins du théâtre de Syracuse, on ne peut plus nourrir aucun doute à cet égard. Les restes des théâtres de

  1. Une Excursion dans l’Asie mineure, 15 janvier 1842, t. XXIX, p. 184-5.
  2. On ne peut douter que les théâtres grecs ne fussent découverts. Vitruve nous apprend que des portiques étaient placés derrière la scène pour qu’une pluie survenant, le peuple y pût trouver un abri. Pline parle d’un théâtre couvert, à Ostie, comme de quelque chose d’extraordinaire. On se servait d’ombrelles, σϰιαδεια (skiadeia). (Dod., Trav., t. II, p. 259.)